Une note prétendument rédigée par les conseillers du président tunisien évoque un futur coup d’Etat constitutionnel. Réalité ou simple manœuvre politique ?
Kaïs Saïed prévoit-il un coup d’Etat constitutionnel ? C’est en tout cas ce qu’insinue le journal Middle East Eye. Proche du Qatar, le magazine en ligne affirme que « les principaux conseillers de Kaïs Saïed ont exhorté le président tunisien à prendre le contrôle du pays au gouvernement ». Les deux journalistes, auteurs de l’article, s’appuient sur un document qui aurait « fuité ». Le président tunisien en France et son chef du gouvernement, Hichem Mechichi, en Libye, l’article fait l’effet d’une bombe. Mais la véracité du document pose question. Notamment car le nom du conseiller de la présidence n’est pas indiqué.
Très rapidement, la rumeur enfle, notamment sur les réseaux sociaux. Mystérieux, Kaïs Saïed a une politique opaque et ce document alimente les discussions. Une note qui conseille à la directrice de cabinet du président tunisien, Nadia Akacha, d’« attirer les rivaux politiques du président vers le palais présidentiel » pour leur « annoncer le coup d’Etat en leur présence sans leur permettre de partir ». Saïed, en pleine pandémie et plongé dans une crise politique et économique, pourrait « réunir tous les pouvoirs entre ses mains pour devenir le centre de l’autorité », indique le document.
Mais comment un tel coup d’Etat constitutionnel est-il possible ? Le président tunisien devrait, indique la note, utiliser l’article 80 de la Constitution. « En cas de péril imminent menaçant les institutions de la nation et la sécurité et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le président de la République peut prendre les mesures nécessitées par cette situation exceptionnelle, après consultation du Chef du gouvernement et du Président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le président de la cour constitutionnelle », indique le texte.
Carthage ne répond pas
La cour constitutionnelle toujours pas créée, Kaïs Saïed peut donc détourner cet article à sa guise. D’autant que le chef de l’Etat est toujours apparu comme un fervent ennemi des institutions. De là à l’accuser de fomenter un coup d’Etat ? Si le document est assez précis, puisqu’il envoie déjà le général Khaled El Yahyaoui, chef de la Garde présidentielle, au ministère de l’Intérieur, et quelques élus du parti Ennahdha en prison, beaucoup d’observateurs mettent en doute son authenticité.
Sur son site Research Media, l’association Barr al Aman pour la Recherche et les Médias tente de réaliser un fact-checking hasardeux. L’article tente de prouver que la note est une pure invention, mais la démonstration reste bancale. Un nom vient cependant marquer les esprits : celui de Walid Balti, gérant d’une société de paris sportifs et membre du parti Attayar. Ce serait son cabinet comptable qui serait l’auteur du document, sous format Word, partagé ensuite sur un Google Drive. Balti assure ne pas être au courant. Les islamistes sont également accusés d’avoir monté de toute pièce ce document.
En attendant, Carthage n’a pas daigné couper court à la polémique. L’an dernier, plusieurs médias avaient déjà rapporté une tentative de coup d’Etat en Tunisie, celle-ci venant d’une puissance étrangère, qui aurait été avortée grâce aux renseignements turcs. En pleine crise politique, la Tunisie vit au rythme des rumeurs de déstabilisation. Une chose est sûre : ce document, qu’il soit véridique ou non, fragilise encore un peu plus les relations entre le chef du gouvernement et son président.