Alors que Musa al-Koni organisait ses propres sommets dans l’Est libyen, les Frères musulmans du pays ont pris la décision de se convertir en ONG. Les intrigues politiques en Libye demeurent toutefois très complexes.
Il semblerait que la visite onusienne du 30 avril ait entrainé des suites pendant les derniers jours. En effet, en marge de la visite surprise du chef de la MANUL en Libye, plusieurs rencontres politiques se sont déroulées.
C’est donc après que Ján Kubiš a rencontré le vice-président du Conseil présidentiel libyen, al-Koni, que les discussions avec Khalifa Haftar ont pris de l’élan. Dans l’espoir d’accélérer le rapatriement des paramilitaires russes, Kubiš, Haftar et le Président du parlement Aguila Salah Issa se sont rencontrés samedi. C’était Salah qui avait accueilli le groupe dans sa demeure d’Al Qubba, dans l’Est libyen.
Sur un autre front, les Frères musulmans de Libye ont tenu leur 11e convention. Après moult discussions, le conseil de la Choura du mouvement a annoncé un changement de nom et de statut juridique.
La fuite en avant des Frères musulmans
Dimanche le 2 mai, l’organisation des Frères musulmans en Libye a annoncé qu’elle avait changé son nom en « al-Ihyâ wa al-Tajdid » – comprenez, la Résurrection et le Renouveau (RR). Cette manœuvre aurait pour but de préparer le mouvement pour les prochaines élections. Le groupe a d’ailleurs annoncé dans son communiqué ne plus faire partie de l’organisation mère. La Société des Frères musulmans a, en effet, été déclarée dans plusieurs pays de la zone MENA comme organisation terroriste.
Le communiqué de cette nouvelle ONG s’est donc plaint de la « campagne de dénigrement et de diffamation », qu’elle aurait subie. Cependant, le communiqué parle bien de l’insistance de RR sur l’importance d’un gouvernement civil, et l’importance de « continuer la révolution ». Dans son dernier paragraphe, le communiqué explique que l’ONG viserait « le travail social comme manière de construire une société civile où la différence sera tolérée. », lit-on. Ensuite, on y décèle une ambition de « travailler ensemble pour protéger les traditions de la nation. Et l’affermissement de l’identité congrue de la société. ».
Néanmoins, selon les analystes libyens, ce changement d’identité des Frères musulmans libyens, viserait deux buts. Le premier serait de se protéger contre une loi électorale qui empêcherait les partis politiques religieux de se présenter aux élections. Le second but serait de fuir la pression internationale sur le mouvement.
Effectivement, comme il a été signalé dans la presse libyenne, la pression turque pourrait emmener les autorités nationales à réprimer les mouvements politiques polémiques. D’autre part, les intérêts de l’Egypte, la Turquie et la Russie sont concordants lorsqu’il s’agit du dossier libyen. Un fait qui pourrait menacer l’influence des frères musulmans au Nord du pays, où la Turquie est en bons termes avec Tripoli à l’Ouest, et la Russie est militairement présente à l’Est, aux côtés de Haftar.
Et pourtant elle tourne
En revanche, c’est bel et bien Haftar qui intrigue. Le commandant de l’armée libyenne est toujours sous le joug des sanctions internationales. Sa rencontre de samedi avec Kubiš et Salah pourrait signifier plusieurs hypothèses. Officiellement, Aguila Salah serait intervenu, pour le compte de l’ONU, auprès de Haftar, afin que ce dernier libère le territoire des paramilitaires russes. Ce serait là une condition de Kubiš, pour que les sanctions sur Haftar soient levées.
D’un autre point de vue, il est clair que depuis qu’Abdel Hamid Dbeibah a obtenu l’accord du Parlement sur son gouvernement d’unité nationale (GNU), il cherche à établir sa suprématie. Or, la participation de l’armée et des conseils tribaux est obligatoire. La chefferie traditionnelle, de son côté, appuie la famille Kadhafi.
La tribu Qadhadhfa, présidée par le fils du défunt Mouammar Kadhafi, Saïf al-Islam, est très puissante au Centre du pays. Lors des élections municipales, ses représentants avaient remporté 34 % des municipalités, dont 100 % de celles du Sud. La fille de Mouammar Kadhafi, Aïcha, a été retirée de la liste noire de l’Union européenne en avril. Donc malgré l’opposition au retour des Kadhafi au pouvoir en Libye, l’aspect tribal reste très important dans le pays. La famille reste donc prépondérante sur la scène politique.
Quant à Haftar, ses négociations avec Tripoli et l’ONU sembleraient aboutir. Certaines rumeurs, certifiées par l’agence de presse Alarabiya, parlent de la présence d’un représentant du Premier ministre Dbeibah lors de la réunion de Qubba. Il s’agirait du vice-Premier ministre Hussein Attiya. Néanmoins, entre Tripoli, Haftar, les Kadhafi, les Frères musulmans, l’ONU, la Turquie, la Russie, l’Europe, les Etats-Unis et la Chine, la Libye est très volatile. Beaucoup d’intérêts conflictuels pourraient entrainer une rivalité politique malsaine. Et avec autant d’armes, d’égos et de pétrole en Libye, tout conflit pourrait dégénérer rapidement.