Il faut remonter aux années 1930 pour comprendre l’avènement de la sapologie. Les rois de la Sape, la Société des ambianceurs et des personnes élégantes, sont aujourd’hui de véritables artistes, reconnus dans les deux Congo et bien au-delà.
C’est un mouvement qui a commencé à la fin du XIXe siècle mais a connu son essor dans les années 1930, si l’on en croit les différentes études historiques. Les membres de la Société des ambianceurs et des personnes élégantes — qui a donné l’acronyme SAPE — voulaient alors apparaître comme des insoumis et « sortir leurs griffes », affirme l’historien Manuel Charpy. Au fil des temps, la sapologie est devenue un mouvement mondial qui réunit, selon la façon dont on perçoit ses adeptes, des frimeurs débonnaires, de simples amoureux de la mode ou des militants politiquement engagés. Une culture qui a connu une évolution significative en Afrique dans deux pays principalement : la République du Congo et la République démocratique du Congo.
Les deux Congo ont tout connu : la pauvreté, la maladie, la malnutrition, de violents conflits et surtout la colonisation. Durant la colonisation franco-belge, la sapologie a un rôle politique. L’élégance était alors synonyme de lutte contre l’oppression. Comment ? Pendant l’époque coloniale, André Matswa, un homme politique congolais exilé en métropole française, s’habille élégamment. Surtout, il fonds l’Amicale des originaires de l’Afrique équatoriale française, à Paris, qui réunit des intellectuels prônant l’indépendance vis-à-vis de la France. Appelé à négocier avec les Français au Congo, Matswa parvient à ses fins. Selon les Congolais, c’est grâce à son allure de dandy parisien qu’il est écouté par les colons.
Un acte de rébellion contre les colons
Dès lors, le dandysme à l’africaine devient un moyen de pression politique. La raison de ce symbole trouve son origine dans la politique coloniale de la France et de la Belgique qui tentent de « civiliser les autochtones » en leur fournissant des vêtements européens de seconde main. Opter pour de beaux habits représente donc un acte de rébellion. Depuis la fin des guerres civiles dans les deux pays, la Sape n’est plus perçue comme un symbole de colonisation, mais plutôt comme celui de paix, entre autres. La Sape représente aussi le retour à une vie normale après des guerres civiles terribles. Les jeunesses de Kinshasa et de Brazzaville adoptent alors ce style flamboyant et exubérant.
De l’agressivité et la violence reprises dans les expressions des Sapeurs, le mouvement est devenu pacifistes, avec un code moral. Un pacifisme qui s’est imposé dès la naissance du mouvement « social Sape », créé par le musicien Papa Wemba et plus récemment le rappeur Gims, tous deux originaires de Kinshasa. Du côté de Brazzaville, c’est le président Denis Sassou N’Guesso, lui-même très regardant sur les tendances de la mode, qui lève les restrictions imposées aux Sapeurs durant les années 1970 et 1980. En effet, les régimes politiques naissants, pour montrer leur rejet de l’impérialisme occidental, interdirent le port du costume-cravate, à l’instar du président Mobutu, au Zaïre, l’ancien Congo belge. Dès lors, les adeptes de la Sape participèrent aux évènements culturels nationaux et même internationaux.
Une culture unificatrice, mais pas toujours accessible
Et malgré les croyances populaires, la Sape n’est pas seulement l’apanage des riches. Malgré les prix parfois élevés de leurs tenues, les sapeurs peuvent être issus des milieux plus populaires : il s’agit parfois de prolétaires qui cultivent l’idée de la beauté à travers une tenue ostentatoire, et ce dans le cadre d’une manœuvre culturelle, artistique, mais aussi politique ou sociale. Ce dernier point est parfois un point de rupture entre les adeptes de la Sape et les militants de la société civile : comment expliquer que l’on puisse acheter des tenues chères quand on manque de nourriture ?
Qu’importe, les sapeurs sont de véritables stars dans leurs quartiers. Pour les adeptes de la sapologie, ce mouvement est également l’occasion de promouvoir les deux Congo. Et de prôner l’union. Bien qu’ils soient séparés par le fleuve du même nom, les deux capitales des Congo trouvent, dans la Sape, un moyen de se retrouver autour d’une même cause. Et outil de promotion des Congo, la Sape s’exporte. Actuellement, les boutiques de haute couture tenues par des sapeurs congolais sont nées, aussi bien à New York qu’à Paris, Londres ou Milan.