Parler de pathologies mentales dans la plupart des pays africains est un tabou absolu. Les causes peuvent être culturelles, religieuses ou même sociétales. Il faut pourtant considérer ce chiffre simple : plus de 7% de la population africaine en souffre.
Lorsqu’on discute de pathologies mentales sur le continent africain, on doit prendre en compte les 90 millions d’africains qui en souffrent, ce n’est qu’une estimation optimiste, car un recensement précis est impossible. On n’en parle pas assez, car dans la plupart des pays africains, avoir ce stigmate équivaut à être “le fou du village” au mieux et à être maudit au pire. Il est rare aussi, une fois les symptômes de la maladie repérés, de se voir administrer un traitement adéquat. Les hôpitaux psychiatriques sont peu nombreux et les psychiatres sont au chômage. Des fois même, un malade mental n’a droit qu’à une visite au marabout ou accès à une médecine traditionnelle qui ne fait qu’empirer sa situation.
Malheureusement, le facteur aggravant le plus pertinent est la prévalence d’autres maladies en Afrique. Les maladies tropicales, le paludisme, la bilharziose et le SIDA font des ravages. Ces maladies plus « visibles » sont prioritaires dans les budgets nationaux de santé publique. Les maladies mentales, en contrepartie, sont des maladies de seconde zone dans un contexte politico-économique.
Santé mentale en Afrique : des chiffres record
Les chiffres varient selon le pays. Certaines nations africaines prennent le problème plus sérieusement que d’autres. Parfois, ce n’est pas suffisant. Selon l’étude de la santé mentale en Afrique de l’OMS en 2011, dernière enquête globale et précise donnant les statistiques africaines en matière de trouble mentaux, la Tunisie et le Kenya font partie des pays les plus touchés. En Tunisie, 41% de la population souffre de troubles mentaux, la moitié de ceux accueillis dans des centres de soins ou des hôpitaux souffrent de dépression ou d’anxiété. Plus de 68% des personnes souffrant de pathologies mentales ne se font simplement pas soigner. Le chiffre est sensiblement le même au Kenya, avec 39% de la population atteinte de soucis mentaux en tout genre. Par contre, le problème ici n’est pas le degré de la pathologie mais l’absence quasi-totale d’infrastructure. Malgré le programme sponsorisé par l’OMS (Kenya 2030) qui prévoyait la construction de centres spécialisés, en 2016 au Kenya, il y’a 0.05 psychiatres et 0.42 infirmiers spécialisés pour 100.000 habitants.
Les problèmes neuropsychiatriques constitueraient selon la même enquête 18% de la charge globale de morbidité en Afrique de l’ouest.
Abus des substances psychoactives
L’usage nocif de l’alcool et des drogues illicites en Afrique est la cause plus commune de troubles psychiatriques selon les Nations Unies. Cependant, 9,7% seulement des patients en psychiatrie souffrent de psychoses liées aux drogues et à l’alcoolisme.
Ce choix de répartition dans les hôpitaux psychiatriques relève du manque de structures pour les pathologies à traitement « continu » telles que les addictions, dans la plupart des pays africains aucun encadrement psychiatrique n’est dédié à la toxicomanie, les atteints se retrouvant systématiquement en prison. Le manque des opioïdes utilisés pour le traitement des addictions aigües, comme la méthadone, est un autre facteur.
Problèmes psychiatriques chez les enfants et les adolescents
Si on pense que l’infrastructure est insuffisante pour les adultes, elle est inexistante pour les enfants. Selon l’OMS, entre 17% et 28% des enfants et des adolescents atteints de morbidité psychiatrique ne sont même pas diagnostiqués !
Cela est dû généralement au contexte de l’apparition de la pathologie, les enfants et les ados atteints de bipolarité, de schizophrénie ou de dépressions sont aussi propices à souffrir de famine ou de pauvreté et se trouvent dans les régions où les soins psychiatriques sont difficiles d’accès. La plupart vivent mal les désordres sociaux (guerres civiles, catastrophes naturelles).
Démence des personnes âgées
Il s’agit là d’un groupe à haut risque de maladies mentales. En plus des éventuels soucis de santé liés à l’âge, ils sont souvent souffrants de dépression ou de démence (pour 28% des hommes âgés de plus que 70 ans et 11% des femmes). Les personnes âgées constituent de 13 à 20% des taux d’admission dans les hôpitaux psychiatriques.
A mesure que la proportion des personnes âgées augmente, les cas d’Alzheimer et des maladies cérébrovasculaires aussi. Quand bien même l’Afrique souffre moins que les autres continents de ces maladies. L’absence d’infrastructure, ou plutôt de la volonté politique d’investir dedans, est un mauvais augure pour les prochaines générations.
Ça empire avec la COVID-19…
Selon Dr Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique : « L’isolement, la perte de revenus, le décès d’êtres chers et un déluge d’informations sur les dangers de ce nouveau virus peuvent accroître le niveau de stress et déclencher des problèmes de santé mentale ou exacerber ceux qui existent déjà. »
En Afrique, on a eu tendance à négliger les dépressions causées par le contexte de la pandémie coronavirus. Déjà depuis 2011, selon l’OMS, 97% des personnes nécessitant des soins psychiatriques n’en recevaient pas pour les raisons énumérées plus haut. La situation n’a fait qu’empirer, et certains pays qui s’étaient engagés à investir dans la garantie des soins psychiatriques à leurs citoyens avant la pandémie rechignent maintenant à le faire.