Les villes africaines sont celles qui contribuent le moins au changement climatique, mais qui en subissent le plus les conséquences en termes de fréquence et de gravité des phénomènes météorologiques.
Pour la plupart des maires et des responsables de villes en Afrique, le débat sur la réalité du changement climatique n’a pas lieu d’être. Ils savent que c’est un débat qui mérite d’être posé. Ils sont en première ligne pour faire face à l’impact des sécheresses, de l’élévation du niveau de la mer et des inondations, comme celles du Golfe de Guinée.
Les cyclones sont plus fréquents et plus intenses. Le Cyclone Freddy, qui a frappé le Malawi, le Mozambique et Madagascar en juin 2023, en est un exemple. Plus de 1 000 personnes ont été tuées.
L’impact du changement climatique sur l’approvisionnement en eau est particulièrement grave. La première ville au monde à avoir failli manquer d’eau potable a été Le Cap en 2018. Comme de nombreuses villes d’Afrique, elle tire l’essentiel de son eau d’un système alimenté par la pluie. Cela signifie que ses réservoirs d’eau étaient presque vides lorsque la pire sécheresse depuis plus de 300 ans a commencé en 2015.
Pour les responsables de la gestion des villes africaines, le débat sur le changement climatique porte donc sur la question de savoir qui doit payer. La question est pertinente car les villes africaines sont celles qui contribuent le moins au changement climatique. Pourtant, les villes des pays à faible revenu sont confrontées aux impacts les plus importants du changement climatique en termes de fréquence et de gravité des événements météorologiques.
Un rapport récent de la Banque mondiale montre que 70 % des gaz à effet de serre sont générés dans les villes. Mais les villes des pays à faible revenu, y compris la majeure partie de l’Afrique, ont contribué à moins de 0,2 % de ce total à ce jour.
Qui doit donc payer la facture de l’atténuation des impacts et de l’adaptation des infrastructures aux futurs phénomènes météorologiques extrêmes ?
Sur la base de mes recherches et de mon travail avec de nombreux maires et responsables de villes africaines, je suis d’accord pour dire que les villes africaines doivent bénéficier directement d’un financement plus important pour lutter contre le changement climatique. Les pays qui se sont développés grâce à l’environnement devront renforcer leur soutien financier aux efforts d’atténuation du changement climatique et d’adaptation dans les économies à faible revenu, en particulier en Afrique.
Dans le même temps, les dirigeants africains au niveau national et municipal doivent faire preuve de prévoyance, de planification, d’un leadership et d’une gestion solides afin que le financement climatique reçu soit correctement investi et puisse bénéficier à leurs populations.
Inadéquation entre la cause et l’effet
De nombreux dirigeants africains soulignent l’inadéquation entre la cause et l’effet dans le système climatique mondial. Tous les pays, conformément à l’Accord de Paris, sont censés réduire drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre afin d’éviter que la température mondiale n’augmente de 1,5℃.
L’ancien vice-président nigérian Yemi Osimbajo a relayé ces préoccupations en 2022. Il a dénoncé l’hypocrisie des pays riches qui se sont développés grâce à des industries peu respectueuses du climat, souvent dans le secteur manufacturier. Exiger des pays africains qu’ils se développent selon des lignes à faible teneur en carbone, et donc limiter leurs choix en matière de politique énergétique, signifierait qu’ils ne pourraient pas s’industrialiser. Pourtant, l’industrialisation a été un précurseur de la croissance économique et du développement pour tous les pays développés.
Rééquilibrer cette équation pour que les villes africaines puissent s’urbaniser durablement et débloquer la productivité nécessitera des investissements immédiats et importants dans les infrastructures. Le réaménagement des villes une fois que les gens s’y sont installés a un coût financier, politique et social.
Coûts et avantages
Les villes d’Afrique et d’autres pays à faible revenu devront contribuer de manière substantielle à la lutte contre le changement climatique.
Pourtant, les avantages potentiels sont considérables. La voie vers le niveau zéro émission peut avoir des résultats positifs substantiels pour les villes africaines.
Par exemple, pour des villes comme Kampala, la lutte contre la pollution est déjà une priorité car la détérioration rapide de la qualité de l’air a entraîné une augmentation des maladies respiratoires et autres. La plupart des activités urbaines liées à la détérioration de la pollution de l’air, en particulier dans le domaine des transports et de l’industrie, contribuent aussi directement au changement climatique mondial.
Ainsi, en s’attaquant à l’un, on améliore l’autre et la qualité de vie globale des habitants de ces villes.
Il y a aussi d’autres avantages. Une étude menée dans 35 villes d’Ethiopie, du Kenya et d’Afrique du Sud a estimé à environ 1,1 million de dollars américains les bénéfices totaux de l’investissement dans les villes vertes jusqu’en 2050. Cela équivaut à 250 % de la production économique annuelle de ces pays. En outre, le rapport estime que ces investissements pourraient générer des bénéfices de 90 milliards de dollars en Éthiopie, de 52 milliards de dollars au Kenya et de 190 milliards de dollars en Afrique du Sud.
Le rapport a également constaté que, malgré les pertes d’emplois dans les industries à forte intensité de carbone, il pourrait y avoir un gain positif net de l’ordre de centaines de milliers de nouveaux emplois.
Qui doit payer ?
La même étude qui a calculé les avantages totaux estimés de l’écologisation des villes africaines a également noté que les coûts d’investissement dans les infrastructures s’élevaient à environ 280 milliards de dollars US d’ici 2050 pour l’ensemble des 35 villes en Éthiopie, au Kenya et en Afrique du Sud.
Pourtant, les flux de financement climatique vers ces trois pays en 2018 n’ont totalisé que 4,7 milliards de dollars US, soit environ 1,7 % de ce qui est nécessaire.
C’est là que les pays à revenu élevé et moyen entrent en jeu. Ils peuvent soutenir leurs homologues des pays à faible revenu en augmentant les flux de financement climatique.
Le secteur privé constituera une autre source importante de financement. Actuellement, environ la moitié du financement climatique mondial provient du secteur privé. Mais en Afrique, il ne représente que 14 % des flux totaux. Une part encore plus faible de ce financement va directement aux villes.
Pour débloquer cette situation, il faudra des réformes au niveau national et au niveau des villes. Cela peut également être soutenu par ce que l’on appelle le financement mixte où les flux financiers privés sont encouragés par le biais du financement du développement.
Gérer les finances
Le leadership des villes africaines sera essentiel. Il doit veiller à ce que ces financements soient investis dans des infrastructures qui contribuent à atténuer l’impact du changement climatique et à s’y adapter, et qui rendent les villes plus compactes et plus agréables à vivre.
Par exemple, la forme d’une ville a un impact considérable sur ses émissions. Plus une ville est compacte, plus ses émissions de gaz à effet de serre sont faibles. Cela nécessitera davantage de prévoyance dans la planification, ainsi que des informations et des incitations ciblées pour modifier les comportements. Près d’un milliard de personnes s’installeront dans les villes africaines d’ici à 2050. Elles devraient le faire dans des zones sûres et sécurisées.
Il s’agit là d’une demande importante. Les villes africaines se développent dans des zones vulnérables. Par exemple, la zone côtière de l’Afrique de l’Ouest entre la Côte d’Ivoire et le Nigeria, qui comprend de grandes villes comme Abidjan, Accra, Lomé, Cotonou et Lagos, est la région qui s’urbanise le plus rapidement au monde. Elle devrait devenir une mégalopole d’ici 2050.
C’est cette même région qui, en 2022, a connu les pires inondations de l’histoire, touchant 5,9 millions de personnes.
Astrid R.N. Haas, Fellow, Infrastructure Institute, School of Cities, University of Toronto
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.