Depuis le renversement de Hissène Habré par le défunt président tchadien Idriss Déby en 1990, la France s’est beaucoup appuyée sur ce dernier. Le Tchad faisait office de gendarme du Sahel. Avec le décès de Déby, qu’est-ce qui risque de changer ?
La France a été le soutien principal du long règne d’Idriss Déby au Tchad. Le défunt président, formé à l’Institut Amaury de la Grange, a perpétué la réputation du pays comme un désert aux guerres interminables. Toutefois, le Tchad sous Déby était l’un des principaux participants à la mission onusienne au Mali (MINUSMA). Sans oublier que depuis le dernier sommet G5 Sahel, le Tchad devait contribuer les troupes prévues par l’accord du sommet de Pau de 2020, soit 1200 soldats. Au total, les troupes affectées par le Tchad à la guerre antiterroriste au Mali et à la « zone des trois frontières » est estimée à plus de 2200 soldats, dont 1200 sont déployés sur le terrain et 600 à la protection de points sensibles dans la région du bassin du Lac Tchad.
Nathaniel Powell, auteur de « Guerres de la France au Tchad : intervention militaire et décolonisation en Afrique », a déclaré que l’institution rapide de Mahamat Idriss Déby Itno en tant que chef d’Etat par intérim a envoyé « un message très fort » aux partenaires internationaux du Tchad. Selon l’analyste, la France et les Etats-Unis s’attendent à une continuité de la collaboration de longue date établie avec Idriss Déby.
Toutefois, l’instabilité politique au Tchad et l’obscurité totale entourant les circonstances de sa mort risquent de perturber la longue quiétude des forces Barkhane françaises et l’Africom américain.
Un dossier obscur ou obscurci ?
Le défunt président Déby aurait la veille de son décès, selon des sources proches du dossier, appelé au retour des troupes tchadiennes au Kidal malien et à Zinder, au Niger. Ces soldats avaient récemment participé à deux opérations militaires d’envergure. Le 2 avril, les troupes du Kidal faisaient partie des troupes de la MINUSMA qui avaient repoussé l’attaque du GSIM au Nord-Est malien. Le 16 avril, les troupes de Zinder étaient intervenues aux côtés d’une unité spéciale nigérienne à Maïné-Soroa, afin de réprimer une offensive de Boko Haram sur Diffa.
Le rappel de ces troupes, qui sont les mieux entrainées et les plus expérimentées de l’armée tchadienne, avait pour but d’appuyer les troupes de N’Djaména. Ces dernières faisaient face depuis le 11 avril à une offensive imminente du FACT. Ces faits avérés soulèvent deux questions. Pourquoi Idriss Déby serait-il parti sur le front combattre le FACT, et se faire mortellement blesser, s’il s’attendait à des renforts qui devraient arriver aujourd’hui au plus tard ? Et qu’en est-il de l’engagement du Tchad envers la France et le G5 Sahel ?
Africom et Barkhane en panique
En ce qui concerne la France, la réponse saute aux yeux. Que ce soit à travers la sémantique des médias français ou les déclarations des responsables politiques. La mort de Déby n’arrange pas Barkhane, et menace même sa légitimité sur le long terme.
Le député français Thomas Gassilloud, membre de la mission d’information sur Barkhane présidée par Françoise Dumas, a déclaré au journal La Croix : « Le Tchad représente un foyer de relative stabilité sur le plan sécuritaire ». Il continue en affirmant : « La France a d’ailleurs une base militaire permanente à N’Djaména ». La base en question est le siège de l’opération Barkhane, et elle garantit la liaison entre la France et ses alliés. Notamment, la base américaine au Djibouti, Camp Lemonnier, qui fournit les renseignements militaires à la France. La base américaine couvre aussi les cinq sites de déploiement au Tchad, qui font partie des 8 sites que les Etats-Unis ont au Sahel.
Pourtant, du côté américain, la réaction est plus timide : « Les Etats Unis soutiennent une transition pacifique du pouvoir conformément à la constitution tchadienne », a déclaré hier soir le porte-parole de la Maison-Blanche, Ned Price.
Les circonstances accablantes du Tchad
La prudence qu’exercent les Etats-Unis et la France relève surtout du blackout tchadien qui dure depuis la fin de l’élection et l’offensive du FACT. Mahamat Idriss Déby Itno ne contrôle toujours pas le territoire tchadien, même s’il jouit de l’appui de l’armée. De plus, comme le citent les allusions du communiqué bref des Etats-Unis, Idriss Déby deuxième du nom n’a aucune autorité légale pour présider sur le Tchad. Le général 4 étoiles de 38 ans devait laisser la place au président de l’Assemblée nationale, qui a été dissoute, tout comme le gouvernement.
A la place d’un gouvernement civil, le Conseil militaire de transition (CMT) compte 15 généraux dans ses rangs. Et pourtant, le couvre-feu national et la fermeture des frontières ne feront rien pour calmer les rebelles du FACT. Ce recroquevillement incitera même les groupes terroristes du Sahel à s’établir dans les zones libérées par les troupes tchadiennes, rappelées par le défunt président. De surcroît, les mesures sécuritaires tchadiennes et le décorum diplomatique international empêchera la France ou les Etats-Unis d’intervenir rapidement au Tchad et même au Niger ou dans le sud malien en cas d’attaque terroriste.
Quoi qu’il en soit, l’atmosphère à N’Djaména est tendue. Nul ne sait ce que le CMT fera pour arrêter l’avancée du FACT, déjà installé à 270 kilomètres de la capitale sur trois positions. Le monde entier regarde vers N’Djaména, avec l’angoisse qui accompagne les funérailles d’Idriss Déby, prévues pour le 23 avril.