Les Africains devraient recevoir davantage de crédit pour l’abolition de la traite négrière, écrit Bronwen Everill, de l’université de Cambridge.
Freetown, la capitale de la Sierra Leone sur la côte ouest de l’Afrique, doit son nom aux esclaves affranchis qui ont été ramenés en Afrique par des membres d’un mouvement britannique visant à mettre fin à l’esclavage. Fondée en 1787 par un groupe de 400 Britanniques noirs de Londres, la colonie est finalement devenue un refuge pour près de 100 000 personnes réinstallées par l’escadron naval anti-esclavagiste britannique.
En tant qu’historienne s’intéressant à l’impact de l’abolitionnisme, j’ai étudié cette histoire et la fondation de la Sierra Leone moderne.
On croit à tort que la Grande-Bretagne a été la première à abolir la traite des esclaves. Ce n’est pas le cas, mais sa décision d’abolir la traite a été soutenue par sa puissante marine. Le rôle de la Sierra Leone dans l’histoire montre cependant que pour faire appliquer cette abolition, la marine britannique a dû compter sur le soutien d’États et entités politiques qui s’étaient déjà opposés à la traite des esclaves.
Les Africains ont joué un rôle qui a été ignoré dans l’abolition de la traite transatlantique des esclaves. En atteste la riche histoire de la Sierra Leone.
La fondation de la Sierra Leone
La traite atlantique des esclaves a commencé vers les années 1520, mais la région de la Sierra Leone ne contribuait pas de manière significative à la traite avant la moitié des années 1700. À partir de 1763, le nombre de personnes réduites en esclavage expédiées chaque année depuis la côte de la Sierra Leone par les commerçants britanniques, portugais et français ne descendait que rarement en dessous à 1 000 et était souvent proche de 4 000. Même à cette époque, le nombre de captifs représentait environ la moitié du nombre de personnes transportées depuis la Gold Coast (Ghana), un quart du nombre transporté depuis le Golfe du Bénin et un dixième du nombre transporté depuis la côte angolaise.
Pourtant, à partir de 1808, c’est la Sierra Leone – plutôt qu’un autre site de traite des esclaves – qui est devenue le théâtre des opérations anti-esclavagistes britanniques. En effet, la Sierra Leone était alors le siège d’une colonie établie et en pleine expansion, composée de membres de la diaspora noire britannique, dont beaucoup avaient été auparavant réduits en esclavage. Et le succès de cette colonie a été possible en partie grâce à l’intérêt et à l’engagement des Temne, des Susu et d’autres peuples africains vivant dans la péninsule de la Sierra Leone et ses environs.
En 1787, le premier groupe de Britanniques noirs est arrivé sur la péninsule dans le cadre d’un projet d’autonomie et avec le soutien des leaders abolitionnistes basés à Londres, Granville Sharp et Olaudah Equiano. La première colonie avait rencontré des difficultés et ne bénéficiait pas du soutien des Temne, dont elle louait les terres.
L’expansion de la colonie
En 1791, un autre groupe est arrivé dans la colonie et a cherché un nouveau traité de colonisation. Ce groupe a choisi d’immigrer en Sierra Leone depuis l’inhospitalière Nouvelle-Écosse (Canada), où il avait été installé par le gouvernement britannique en tant que [“loyalistes noirs”], après avoir fui l’esclavage pendant la révolution américaine (1776-1783). Une nouvelle organisation, la Sierra Leone Company, a pris en charge la gestion de la colonie depuis Londres. Leurs archives montrent qu’au début des années 1790, les Temne considéraient l’arrivée de ces colons comme une opportunité.
Le roi Naimbana, par exemple, qui a négocié le traité entre la Sierra Leone Company et les Temne, a envoyé son fils à Londres pour ses études. Lors de leurs négociations, les responsables de la compagnie ont noté que les personnes avec lesquelles, ils étaient en contact étaient impatientes d’avoir des opportunités de faire du commerce de biens importés sans recourir à la vente d’autres personnes.
Le rôle de l’Afrique dans la fin de l’esclavage
Comme je l’ai constaté au cours de mes recherches, c’est la demande africaine qui a contribué au succès de la colonie et à sa mission consistant à déplacer le commerce de la côte loin de la traite des esclaves. Les documents conservés à la Huntington Library en Californie montrent que les acheteurs locaux payaient un prix plus élevé pour la marque “SLC” – un prix payé en biens et en devises, plutôt qu’en captifs asservis. En 1793, un représentant britannique a écrit une lettre à la Sierra Leone Company pour se plaindre du fait que “les marchands d’esclaves avaient pris l’habitude d’apporter des fusils marqués SLC pour le commerce, ce qui leur permettait d’obtenir une vente rapide et un double prix dans le Rio Nunez”, au nord de la colonie. Il s’inquiète également du fait que cela se produisait avec des tissus portant la marque “SLC”.
Bien qu’il ne fût pas sûr de leur enthousiasme pour l’abolition de la traite des esclaves, le fonctionnaire britannique affirmait “qu’ils avaient pleines de propositions pour commercer avec nous et planter du coton et du café”. Et un adjoint d’un chef Susu lança une attaque verbale contre les marchands d’esclaves en ces termes :
C’est vous, marchands d’esclaves, qui êtes à l’origine de tous nos problèmes. C’est vous qui montez dans ce pays les gens les uns contre les autres. Et que nous apportez-vous en échange ? Nous avons nos propres tissus. Si vous disparaissiez demain, nous ne serions pas dénudés. Si vous disparaissiez, nous n’aurions besoin que de peu de fusils et de poudre.
Ce soutien des Susu et des Temne autour de la Sierra Leone à la colonie, à son commerce et à sa diaspora africaine signifiait que la colonie semblait être un choix naturel pour les Britanniques lorsqu’ils cherchaient un moyen d’appliquer leur loi sur le commerce des esclaves (Slave Trade Act) de 1807 pour mettre fin à la traite des esclaves dans l’Atlantique. Les Britanniques avaient mis en place dans la colonie une patrouille navale anti-esclavagiste, ainsi qu’un tribunal chargé de traiter les navires négriers capturés.
La Sierra Leone Company était heureuse de céder le contrôle au gouvernement britannique, mais ce sont les personnes sur le terrain qui, grâce à leurs relations commerciales fructueuses, avaient construit une ville en plein essor avec des marchés, des logements, des infrastructures et, surtout, un sentiment de sécurité pour les milliers d’esclaves réinstallés qui allaient bientôt voir leur population augmenter considérablement.
Conclusion
On croit à tort que la Grande-Bretagne a été la première à abolir la traite des esclaves et qu’elle a apporté à l’Afrique des idées éclairées contre l’esclavage. Cette idée fausse a été utilisée pour justifier l’expansion de la domination coloniale au 19e siècle. Mais l’histoire de la Sierra Leone montre que, pour faire appliquer leurs décrets d’abolition, les Britanniques ont dû s’appuyer sur des États et des entités politiques africains qui s’étaient déjà opposés à la traite des esclaves.
Bronwen Everill, Director, Centre for African Studies, University of Cambridge
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.