Des dizaines de milliers d’arrestations d’opposants, des actes de torture et des disparitions forcées… Depuis sept ans, Abdel Fattah al-Sissi exerce une terreur sans précédent en Egypte.
« Il n’est pas différent des autres. Sissi lui-même est un tyran ». Nous sommes en 2014, et Israël bombarde quotidiennement la Palestine. En conférence de presse, le président turc Recep Tayyip Erdoğan accuse son homologue égyptien d’être à la solde d’Israël. Les mots sont durs, mais rejoignent ceux des ONG qui voient en Abdel Fattah al-Sissi un véritable tyran sanguinaire, sans aucun doute le pire dictateur de l’histoire moderne de l’Égypte. Depuis son arrivée au pouvoir, grâce à un coup d’Etat sanglant, Sissi a emprisonné ou fait tuer des milliers d’opposants au régime. Sous couvert de lutte contre les Frères musulmans ou contre le terrorisme, al-Sissi a posé une chape de plomb sur la société civile de son pays. Les ONG quittent tour à tour le pays pour échapper au pire : entre 2013 et 2016, le maréchal Sissi a fait torturer ou arrêter 40 000 personnes, assure Amnesty International. Ces dernières années, ces chiffres continuent d’exploser. On compterait 60 000 opposants à Sissi en prison.
Une adaptation personnelle des droits de l’homme
Mais al-Sissi a un avantage : il bénéficie d’un soutien sans faille de la part de l’Occident. Le « dictateur préféré » de Donald Trump, comme le surnommait lui-même le président américain, a en effet la porte des pays européens grande ouverte. Il faut dire que le maréchal est un bon client. Il raffole des Rafale, des frégates, des blindés et des armes fabriquées sur le Vieux-Continent, aux Etats-Unis ou dans le Golfe. De quoi asseoir son pouvoir en Egypte. Et même si Mohamed Badie, guide suprême des Frères musulmans, assure que « le peuple n’acceptera pas un tyran issu de l’armée » comme président, al-Sissi reste, depuis plus de sept ans, indétrônable. Quant à son non-respect des droits humains, le maréchal le justifie en affirmant vouloir « trouver un équilibre entre notre situation intérieure délicate, un contexte régional critique et le respect des droits de l’homme ».
Sans ironie, le militaire assure d’ailleurs que « l’Égypte est un État de droit avec une justice qui fonctionne » et estime que les Egyptiens « sont parfois mécontents, car ils voudraient des sentences beaucoup plus dures et plus brutales que celles que la justice applique vis-à-vis de ceux qui entravent la marche de leur pays ». Pour al-Sissi, « il faut adapter la notion des droits de l’homme en fonction des circonstances et de la réalité des sociétés ». Autrement dit : le regard que portent les autres pays sur la terrible répression en Egypte n’a pas lieu d’être. Et les présidents européens l’ont bien compris, évitant soigneusement d’aborder le sujet des droits de l’homme lors de leurs entrevues avec Sissi, et allant jusqu’à lui « dérouler le tapis rouge », au grand regret des ONG internationales.
Torture d’enfants et disparitions forcées
Pas question pour Paris de demander des comptes à Sissi, donc, que ce soit concernant les procès inéquitables, les emprisonnements de détenus d’opinion ou encore les disparitions forcées, l’une des spécialités du pouvoir égyptien. Human Rights Watch (HRW) déplore même des actes de torture — pourtant interdits par la Constitution de 2014 — contre des enfants âgés de 12 à 17 ans. En sept années, Abdel Fattah al-Sissi a presque réussi à faire passer Hosni Moubarak pour un enfant de chœur. D’autant que le maréchal a totalement muselé toute voix dissonante : depuis 2013, cinq-cents médias en ligne ont été fermés et une trentaine de journalistes, et même de blogueurs, sont actuellement derrière les barreaux. Nul doute que, s’il est écarté du pouvoir, Sissi pourrait être accusé de « crimes contre l’humanité ». En attendant, le militaire installe une dictature de plus en plus violente, soutenu par ses nombreux partenaires internationaux.