« C’était mieux avant » est une expression qui revient toujours lorsqu’on aborde le conflit générationnel. Pour les jeunes comme les plus âgés, il s’agit d’une vérité incontestable et incontestée lorsque le nom de Thomas Sankara est abordé. Pourquoi, au lieu d’une star de foot ou d’un artiste, la jeunesse africaine a-t-elle choisi un homme connu pour son intégrité comme symbole ? Qui était ce héros des plus démunis ?
Thomas Sankara est né le 21 décembre 1949 à Yako, au nord du Burkina Faso, lorsque c’était encore la Haute-Volta, une colonie française. C’est bien ironique que l’un des hommes les plus honnêtes de l’histoire du continent, voire du monde, soit né dans le pays des hommes intègres. D’un père infirmier-gendarme ayant participé à la seconde guerre mondiale et d’une mère religieuse, Sankara et ses onze frères et sœurs ont été élevés avec les valeurs de la droiture et de la piété. La famille de Sankara a beaucoup voyagé, au rythme des affectations de son père. Thomas était bon élève, discipliné et intelligent. Il rejoignit le Prytanée militaire de Kadiogo à 15 ans et y obtint son baccalauréat. C’était un cadet proactif, ses camarades s’en rappellent comme du meilleur parmi eux, mais surtout comme d’un jeune homme charismatique. Il a ensuite poursuivi une formation militaire à Madagascar, à l’académie d’Antsirabé, qu’il avait précédée par une formation d’officier à l’EMIA au Cameroun. Il suivait des cours de sciences politiques, de sciences agricoles et de tactiques d’infanterie. Durant son déploiement au sein des services logistiques de l’académie à Madagascar, il passait beaucoup de temps à la campagne et préférait vivre parmi les paysans malgaches.
A peine diplômé, à 24 ans, il a participé au conflit malien-voltaïque. Sa bravoure le fit connaitre dans l’armée et sa rigueur en faisait le sous-lieutenant préféré de ses officiers. Trois ans plus tard, en 1976, il devint de facto l’officier en charge du CNEC (Centre National d’Entraînement Commando) à Nahouri, sur la frontière ghanéenne. Durant cette période, il créa en compagnie de Blaise Compaoré le Regroupement des Officiers Communistes, une organisation clandestine qui rassemblait des militaires et des militants d’extrême-gauche sous la même bannière.
Un politicien… apolitique
Le début des années 80 en Haute-Volta était ponctué de coups d’Etats. Un gouffre s’est créé entre les politiciens (bourgeois) et les officiers de l’armée. Quelques mois après le coup d’Etat de 1980, Thomas Sankara est promu Ministre de l’information sous le colonel Zerbo. Lorsque la loi abrogeant le droit de manifestation entra en vigueur en 1982, Sankara s’est rebellé en direct à la télévision avec son fameux énoncé : « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ». Ce qui lui a valu de devenir l’ennemi numéro 1 du gouvernement.
Le coup d’Etat suivant eut lieu en 1982, avec Jean-Baptiste Ouédraogo à son centre. Cette fois, c’est un autre groupe de militaires qui monte au créneau, Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Lingani et Thomas Sankara lui-même. Thomas Sankara est nommé Premier ministre en 1983. Dès sa prise de pouvoir, il a combattu la corruption et l’entrisme étranger. Sa croisade n’a duré que 5 mois avant qu’il ne se fasse limoger.
L’ère Sankara
En août 1983, Sankara a mené son propre coup d’Etat, en compagnie du régiment de Nahouri et de milliers de manifestants, il a pris le contrôle d’Ougadougo et a constitué son propre gouvernement en compagnie de son groupe d’officiers et de trois partis de gauche.
Ce que Thomas Sankara exigeait de son peuple, il le faisait lui-même. Travailleur acharné, il a consacré chaque jour en tant que Président du CNR à démocratiser, moderniser et consolider sa nation.
- Il était novateur en matière d’écologie, avec son programme de reboisement et la campagne contre la divagation de la faune.
- Il avait baissé les dépenses de l’Etat en réduisant les salaires des fonctionnaires de l’Etat à une formule uniforme selon la description professionnelle. Par exemple, il touchait lui-même un salaire de capitaine, rien de plus. Il a aussi aboli les avantages superflus des fonctionnaires de l’Etat.
- La partie du budget économisée grâce à cette politique économique de rigueur a été utilisée avec discernement. Le gouvernement de Sankara a construit des écoles, des cliniques, des routes… En 1984, la République de Haute-Volta est rebaptisée Burkina Faso, pays des hommes intègres.
- Thomas Sankara a aussi établi des programmes de promotion des droits des femmes, en interdisant les pratiques anciennes comme l’excision et le mariage forcé et en édictant une loi contre la dot et le lévirat. En l’occurrence, il avait nommé trois femmes ministres dans son gouvernement.
Mais au-delà de son travail, Thomas Sankara était lui-même irréprochable et humble. Il est d’ailleurs connu pour sa Renault R5 en guise de voiture de la présidence et son humble demeure dans un quartier populaire à Ouagadougou. Ce qui lui a probablement valu des soucis, c’était sa politique étrangère. Dans le contexte d’une guerre froide par proxy, il s’est rangé du côté du bloc de l’est. Il a fondé une coopération durable et réelle avec Cuba, a boycotté les jeux olympiques de 1984 aux Etats-Unis, a soutenu le Front sandiniste de libération nationale au Nicaragua et l’ANC en Afrique du Sud et entretenait des relations hostiles avec les alliés de la France dans la région, qui étaient ses voisins immédiats. En plus, la relation de Sankara et de son compagnon historique, Blaise Compaoré, se dégradait à mesure que ses décisions nuisaient aux intérêts nombrilistes des plus grandes fortunes du pays.
Thomas Sankara, un héros s’éteint
L’enthousiasme de l’effort révolutionnaire était nocif aux chefs tribaux dont le pouvoir était de plus en plus faible. La France et ses alliés avaient aussi tout à gagner à voir Sankara tomber.
Comme toute révolution, celle de Thomas Sankara avait droit à son lot de contestations. Il était rigide, certes, mais il l’était aussi avec lui-même. Il a attaqué le grand capital, mais c’était pour sauver sa nation de la gloutonnerie de son ennemi de toujours, le colonisateur d’hier. On ne saura jamais ce que Sankara aurait pu faire pour sauver sa propre vie.
Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara était réuni avec 6 membres de son cabinet et des membres du Conseil de l’entente au siège du CNR, dans le cadre de l’Organisation militaire révolutionnaire (OMR. Aborder le sujet du conseil ne serait que spéculation malgré le témoignage d’Alouna Traoré. Le fait est qu’un commando a attaqué le bâtiment, abattu le chauffeur de Sankara et ses gardes et fait irruption dans la salle de réunion. Thomas Sankara s’est levé, a marché vers la sortie calmement et s’est fait tuer.
Les assaillants ont ensuite tué tous les présents dans la salle sauf Alouna Traoré qui a été conduit dans une salle adjacente.
En rétrospective, la montée au pouvoir de Blaise Compaoré suite à cet événement, ainsi que le certificat « de mort naturelle » de Sankara devraient expliquer les faits. Mais on s’en tiendra à ce que l’on sait. En 2015, l’enquête sur la mort de Sankara a été réouverte, 17 proches de Blaise Compaoré (dont le chef de son Etat-major), ainsi que lui-même ont été inculpés. Blaise Compaoré est réfugié en Côte d’Ivoire. Le juge militaire français chargé de l’affaire a observé la potentielle implication du Togo, de la Côte d’Ivoire ou de la France. Vu le manque de preuves, le mystère ne sera probablement jamais élucidé.
Comme d’habitude, on s’en tiendra aux faits.
Le Burkina Faso n’a plus jamais été le même depuis l’assassinat de son héros.