Depuis les récents affrontements, le M23 refait la une des journaux, mais beaucoup de problèmes de sécurité persistent pendant que les diplomates s’évertuent à s’attaquer aux causes sous-jacentes.
Depuis mars 2022, les combats se sont intensifiés dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) entre l’armée et le groupe rebelle Mouvement du 23 mars, plus connu sous le nom de M23. Ce dernier aurait attaqué des positions de l’armée près de la frontière avec l’Ouganda et le Rwanda. Un hélicoptère des Nations Unies s’est, en outre, écrasé dans la zone de combat, faisant huit morts parmi les Casques bleus.
Ces événements ont fait la une des journaux du monde entier et ont provoqué une réaction du Secrétaire général des Nations unies, António Guterres.
La recrudescence des combats entre le M23 et les troupes gouvernementales a, en fait, commencé à la fin de l’année 2021. De surcoix, il s’agit là que de l’un des nombreux affrontements armés en cours dans l’est de la RDC où, par ailleurs, la Force démocratique alliée, un groupe islamiste insurgé d’origine ougandaise, continue de massacrer des citoyens, en dépit des opérations conjointes en cours entre l’Ouganda et la RDC. Une autre guerre par factions interposées se déroule dans les hautes terres d’Uvira et de Fizi, non loin du Burundi. Et en Ituri, à l’extrémité nord-est de la RDC, différents groupes armés, dont les factions de la CODECO, ne cessent de faire des ravages.
Pourtant, les affrontements de mars 2022 entre l’armée congolaise et le M23 ont été les plus meurtriers depuis une décennie. Cette situation soulève des questions importantes relatives au timing et au contexte que nous aborderons dans cet article.
Nous avons tous deux entrepris des recherches sur la dynamique des conflits dans l’est du Congo pendant de nombreuses années. Font partie de ces recherches, entre autres, le rôle des groupes armés dans la société, l’interaction entre la mobilisation armée et la récente épidémie d’Ebola, et la fragmentation des belligérants.
Dans le cadre de cette recherche, nous avons également analysé l’évolution du M23 depuis ses débuts en 2012 jusqu’à aujourd’hui. De notre point de vue, la recrudescence des activités du groupe depuis fin 2021 est sans doute une réaction aux tentatives de Kinshasa de mettre fin à l’insécurité dans l’est. Il se peut que, se sentant menacé, le M23 cherche à renforcer sa position en cas d’éventuelles négociations.
La sécurité, une priorité
Le président Félix Tshisekedi a fait de la sécurité dans l’est du Congo l’une de ses principales priorités. Il a essayé différentes stratégies pour y parvenir, notamment des négociations engagées avec les groupes armés, un programme de démobilisation et de désarmement et la déclaration de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.
Mais, comme les recherches récentes l’indiquent, cette combinaison de tactiques a rarement été efficace par le passé.
Il est donc peu probable que la multitude d’initiatives actuelle mette définitivement fin au M23 et aux autres rébellions, tant que les problèmes historiques sous-jacents qui alimentent la violence ne sont pas résolus.
La montée du M23
Créé en avril 2012, le M23 se situe au croisement des dynamques de pouvoir locales, nationales et régionales, où il prend part à différentes luttes pour le contrôle du territoire, des personnes et des ressources. Ces luttes sont liées aux préoccupations sécuritaires de différents réseaux politiques et militaires transfrontaliers, qui regroupent des acteurs étatiques et non étatiques.
Le M23 a rapidement acquis une notoriété internationale lorsqu’il a occupé la ville de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, pendant 10 jours en novembre 2012. Cette occupation faisait suite à huit mois de combats intenses dans la région de Rutshuru, dans la province du Nord-Kivu.
Ces événements ont considérablement embarrassé la communauté internationale qui avait investi des milliards de dollars pour restaurer la paix et refonder l’Etat, notamment par le biais de sa mission de maintien de la paix de l’ONU. Mais les soldats de la mission s’était contenté de jouer les spectateurs lorsque le M23 marchait sur Goma.
Même si les rebelles se sont retirés après avoir subi une forte pression internationale, ils ont continué à contrôler des sites stratégiques clés, comme le poste frontière de Bunagana en bordure de l’Ouganda, qui leur procuraient des revenus importants provenant de taxes.
En fin de compte, la capacité du groupe à défier le gouvernement congolais et l’ONU a causé sa perte.
En 2013, une nouvelle composante de la mission onusienne de maintien de la paix a été chargée de démanteler les groupes armés de l’est de la RDC : elle s’appelait la Brigade d’intervention et était composée d’armées régionales; elle avait fait du M23 sa principale cible. Des tensions internes ont, par ailleurs, provoqué une scission au sein du M23, laissant le groupe affaibli et contraint à l’exil en Ouganda et au Rwanda.
Après sa défaite, le M23 a signé un accord de paix avec le gouvernement en décembre 2013, dans lequel il acceptait de démobiliser ses combattants et de se transformer en parti politique.
Cependant, sous la direction du commandant Sultani Makenga, certaines parties du groupe sont retournées en RDC dès la fin 2016. Cette situation était prévisible car les accords de paix n’ont pas permis de régler les problèmes sous-jacents des conflits.
L’histoire de la rébellion
Une caractéristique importante de la généalogie des groupes armés auxquels le M23 appartient est qu’ils ont été dirigés principalement par des commandants tutsis du Nord-Kivu. Historiquement parlant, ces commandants ont entretenu des liens étroits avec l’armée rwandaise. Au début des années 1990, comme cela a été rapporté à l’un d’entre nous lors des multiples entretiens, plusieurs d’entre eux ont rejoint le Front patriotique rwandais dans sa lutte pour renverser le régime extrémiste hutu du Rwanda, qui a perpétré le génocide dans ce pays.
L’une des principales forces motrices des rébellions, telles que le M23, a été la situation précaire de la communauté tutsie au Nord-Kivu en raison d’une conjonction de facteurs complexes et reliés entre eux. Il s’agit en premier lieu, de la politique appliquée par État colonial (1885-1960) et par le régime de Mobutu Sese Seko (1965-1997) consistait à diviser pour régner. Dans les années 1990, le régime de Mobutu a alimenté des conflits de longue date entre des populations hutues et tutsies parlant le kinyarwanda, en refusant à ces dernières le droit à la citoyenneté, ce qui a déclenché de violents conflits dans l’est.
Deuxièmement, il y a la propagande politique qui colle une fausse étiquette «d’immigrés» et non de «citoyens» à tous ceux qui parlent le kinyarwanda dans l’est de la RDC d’« immigrants » plutôt que de « citoyens », malgré le fait que plusieurs communautés kinyarwandophones sont présentes en RDC depuis bien avant la colonisation.
Le fait que les Tutsis ont été impliqués dans plusieurs rébellions soutenues par l’étranger, en particulier le RCD-Goma, de 1998 à 2003, n’arrange pas les choses non plus.
Enfin, des membres de l’élite économique tutsie ont acheté de vastes étendues de terre dans un contexte marqué par l’accaparement des terres par les élites locales, dont de nombreux paysans ont été victimes.
En raison de tous ces facteurs, les Tutsis et les communautés parlant le kinyarwanda en général font l’objet d’un ressentiment généralisé. À l’inverse, les Tutsis du Nord-Kivudé déplorent le manque de considération et de protection qui leur est dû en tant que citoyens de la part de l’État congolais. D’où le soutien apporté par ceux qui parlent le kinyarwanda aux rébellions successives, afin de se protéger contre les groupes armés qui leur sont hostiles.
Ce que l’avenir nous réserve
Après les premiers affrontements en mars et en avril de cette année, le M23 a déclaré de manière unilatérale, plusieurs cessez-le-feu. Il a également annoncé sa volonté de déposer définitivement les armes. Puis, en avril, il a promis de se retirer des zones qu’il avait occupées après les combats de fin mars et a demandé l’instauration d’un dialogue avec le gouvernement congolais.
Ces déclarations ont été faites au début d’un nouveau cycle de négociations entre les groupes armés et le gouvernement congolais à Nairobi, sous l’égide du président kenyan, Uhuru Kenyatta. Le gouvernement congolais a présenté ces pourparlers comme étant la dernière chance pour les groupes armés de se rendre. Cette menace était suivie de l’annonce d’une nouvelle force régionale à mettre en place pour combattre les groupes armés.
Des combats ont cependant éclaté par la suite entre l’armée congolaise et les unités du M23, les deux parties s’accusant mutuellement d’être à l’origine des affrontements. En conséquence, la principale faction du M23, dirigée par Sultani Makenga, a été expulsée des pourparlers de Nairobi.
A l’échelle régionale, le retour du M23 coïncide avec plusieurs changements importants, à savoir notamment des négociations en vue de l’adhésion de la RDC à la Communauté d’Afrique de l’Est et l’intervention militaire de l’Ouganda au nord de la zone d’opération du M23 pour combattre pour combattre les Forces démocratiques alliées.
En outre, après cinq ans de frictions entraînant la fermeture des frontières, les relations bilatérales entre le Rwanda et l’Ouganda semblent s’améliorer rapidement, en dépit de la rivalité géopolitique et de la compétition pour le commerce et les projets d’infrastructure dans l’est de la RDC.
Sur le terrain, au Nord-Kivu, d’autres groupes armés congolais ont récemment déclaré la création d’une nouvelle coalition ad hoc, qui aurait été négociée par des responsables de l’armée congolaise, dans le but de combattre le M23.
Ainsi, la rébellion du M23 se retrouve dans le triangle frontalier minuscule mais hautement stratégique, entre l’est de la RDC, le Rwanda et l’Ouganda, et au centre d’une évolution rapide en ce qui concerne la sécurité et la diplomatie locales et régionales.
Kasper Hoffmann, Adjunct assistant professor, University of Copenhagen and Christoph Vogel, Research Director of the Insecure Livelihoods Project, Ghent University
This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.