Plusieurs coups de filet ont permis à la République démocratique du Congo d’arrêter des trafiquants de drogue. La « bombé », un stupéfiant artisanal, inquiète de plus en plus les autorités.
En République démocratique du Congo (RDC), au moins 138 personnes ont été arrêtées depuis le 19 août dans le cadre de l’opération policière de lutte contre le trafic de drogues. Parmi les détenus figurent trois ressortissants tunisiens et une trentaine d’autres trafiquants qui travaillaient dans une usine d’extraction de filtres céramiques. Ces derniers sont accusés d’avoir fabriqué et distribué la drogue la plus populaire actuellement en RDC : la « bombé ».
Cette drogue, fabriquée à base d’extraits de tuyaux d’échappements de véhicules et de compléments alimentaires Nutriline, représente un danger pour trois raisons. Tout d’abord, le coût réduit du matériel utilisé à la fabrication de cette drogue qui a un fort pouvoir d’addiction. Les conséquences de la « bombé » sont également terribles : les consommateurs dorment en pleine rue et cette drogue provoque des comportements dangereux. Enfin, ce qui inquiète particulièrement Kinshasa, c’est que la « bombé » pourrait participer au financement de la grande criminalité, voire du terrorisme.
Les dangers de la grande criminalité
La présence de la drogue « bombé » a été détectée dans la capitale Kinshasa, mais aussi au Nord-Kivu, une région sinistrée par le terrorisme. Ce n’est que grâce à des vidéos de citoyens que l’on constate l’effet dévastateur de cette drogue dont la dépendance commence dès la première consommation.
Pour le général Sylvano Kasongo, le chef de la police de Kinshasa, démanteler la cellule de fabrication de la capitale est une priorité. Il considère que la drogue « bombé » est « une menace en pleine expansion ».
Le gouvernement congolais, en pleine campagne contre la corruption et la criminalité, ne doit pas dissocier aujourd’hui la lutte contre la « bombé » et la grande criminalité. En RDC, l’étau se resserre sur les « kulunas » — les gangsters — dont plusieurs centaines font l’objet de mesure extrajudiciaires, comme l’envoi dans des « camps de réhabilitation ». Une nouvelle stratégie de la part de l’Etat censée être dissuasive.
Dans la commune kinoise de Ngaliema, où a eu lieu le coup de filet de ce vendredi 27 août, la consommation de la « bombé » touche des milliers de jeunes. Tant et si bien que les revenus de la vente de cette drogue sont estimés à plusieurs millions de dollars. Or, l’argent de la drogue est l’un des principaux revenus des Groupes armés terroristes (GAT), en RDC.
#RDC#Kinshasa
Phénomène #Bombe
La @comgenpnc a mis la main sur un des réseaux fournisseurs constitués des expatriés.
Il semblerait qu’ils sont tunisiens . pic.twitter.com/JilJjGzdQl— Noëlla Kambaja (@KambajaNoella) August 26, 2021
Le financement des groupes terroristes passe par le narcotrafic
Selon le dernier Atlas Mondial des Flux Illicites (AMFI), publié en collaboration avec Interpol et Global Initiative, le narcotrafic est intimement lié au terrorisme global en Afrique. On découvre notamment que pour les deux groupes terroristes armés (GAT) majeurs actifs en RDC, l’ADF et l’Etat Islamique, les canaux financiers s’appuient sur des sources de revenus bien précises : les enlèvements contre rançon d’un côté ; la vente d’armes, la traite des êtres humains et la drogue d’un autre côté.
Selon Interpol, les données régionales sur l’Afrique centrale indiquent que la drogue finance jusqu’à 27 % des fonds à disposition des groupes terroristes. En RDC, le pourcentage s’élèverait même à 34 %. Au Nigéria, plus au nord, ces revenus représentent plus de 50 % des sources de financement des marchands de la mort.
Pour les autorités civiles des pays africains menacés par le terrorisme global et transfrontalier, le défi majeur réside donc dans la lutte contre le narcotrafic. « L’est de la RDC est une destination phare de nombreux trafics illégaux », rapporte l’ONUDC. Et selon un rapport de l’ONU, l’Etat Islamique, par exemple, attire les nouvelles recrues dans plusieurs pays en les incluant dans le trafic des drogues, notamment au Burundi et au Kenya.
En RDC, contrairement au Nigéria ou au Mozambique, où les enlèvement massifs peuvent remplacer le trafic d’armes et de drogues, en RDC, Daech finance ses cellules en « extorquant les populations rurales, en pillant des banques et en vendant de la drogue », précise un rapport d’ACLED daté de mars dernier.
La crise économique et le chômage en cause ?
Avec la crise économique de plus en plus grave en Afrique centrale, les drogues bon marché comme la « bombé » attirent de plus en plus de consommateurs. Selon une recherche conjointe de l’ONUDC et de l’OMS, « l’utilisation d’opiacés et de stimulants de type amphétamine (ATS), comme la méthamphétamine, devient une préoccupation croissante en Afrique occidentale et centrale ».
Néanmoins, si la méthamphétamine requiert des produits difficiles d’accès, comme la méthylamine et d’autres produits chimiques variés, la « bombé » est fabriquée avec des ingrédients plus simples. Les effets de la « bombé » sont aussi plus importants, cette drogue étant bien plus addictive.
En RDC, même si l’inflation ne dépasse pas 2,2 %, ce qui reste relativement raisonnable, le chômage et la baisse des revenus inquiètent. La ministre de la Formation professionnelle et des Métiers, Antoinette Kipulu Kabenga, estime que, « en réalité, le chômage touche près 40 % de la population, surtout les jeunes sur la ville province de Kinshasa ». Si une partie de ces jeunes se livrent à la consommation de drogues dures, une autre partie se retrouve encore plus tentée de les vendre et de les fabriquer.
D’un autre côté, le combat contre le narcotrafic fait intrinsèquement partie de celui, plus pressant, contre l’insécurité. Pour l’ONG norvégienne RHIPTO, qui a livré à Interpol une analyse en 2016, la frontière est de la RDC est devenue un hub du trafic de drogues, entre autres. Un nouveau défi pour l’Etat congolais.