Trop de présidents africains décident de couper internet, pour des raisons de sécurité, indique un rapport de Tournons La Page qui explique les enjeux d’un tel phénomène.
Ironie du sort, le mouvement international Tournons La Page (TLP) publiait, quelques jours avant que le Sénégal ne décide de couper son internet, un « état des lieux des coupures d’internet en Afrique depuis 2014 ». Avec un titre choc : « En Afrique, la répression en toute discrétion ». Le fait que le pouvoir sénégalais appuie sur le bouton off de l’internet et des réseaux sociaux a particulièrement choqué. Mais le Sénégal est loin d’être le champion de la coupure d’internet.
Le Tchad, suivi du Cameroun et de la RDC, sont les trois pays qui coupent le plus internet de façon volontaire.
Pour TLP, ce rapport « vise à documenter les cas de coupures ou de restrictions à Internet depuis 2014 dans les 14 pays africains où TLP est présent (Bénin, Burundi, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Malawi, Mali, Niger, Ouganda, République Démocratique du Congo, Tchad et Togo, ndlr), et souligner le lien entre coupures Internet et atteintes à la démocratie ». De « nombreuses coupures Internet opérées par les gouvernements » constituent, selon le mouvement, qui se base sur les juridictions internationales, « des violations du droit international ».
Des coupures pendant les élections
Le mouvement détaille les conséquences économiques des coupures d’internet, mais également en termes de droits humains. TLP de rappeler qu’« un tiers de toutes les élections nationales entre 2015 et 2018 ont été accompagnées d’une coupure d’internet ». Des actions condamnées par les instances continentales : en juin 2020, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avait condamné l’État togolais pour avoir coupé internet par deux fois en septembre 2017. D’autres États ont également déjà été condamnés, indique TLP.
Mais le mouvement continental veut surtout expliquer, avec son rapport, que les chefs d’État africains, en coupant l’accès à internet sous couvert de sécurité, ont tort : « Outre leur illégalité, les coupures d’internet ne résolvent pas le problème bien souvent mis en avant de sécurité car elles n’empêchent pas l’activité illégale et ne poursuivent pas les coupables ; elles mettent tout simplement un rideau devant le contenu ». Cependant, tempère TLP, certaines informations peuvent être bloquées grâce aux coupures, mais cela réduit considérablement « la confiance des citoyens dans l’internet et sa transparence ». Surtout, les coupures d’internet « favorisent le développement de services souterrains plus obscurs ». Ceux-là incontrôlables.
Que faire ?
TLP demande à chaque dirigeant africain d’« être transparent sur les actions numériques du gouvernement afin de rétablir la confiance avec la population », d’« identifier les meilleures pratiques pour résoudre les problèmes sans avoir recours à la coupure d’internet » ou encore d’« impliquer la société civile dans la rédaction de lois numériques pour la protection des citoyens ». Le mouvement exhorte également les gouvernants à « mesurer le coût d’une coupure et ses impacts sur la population et les infrastructures du pays ».
Enfin, et c’est une proposition assez étonnante, TLP demande aux opérateurs d’« utiliser tous les moyens légaux à leur disposition pour empêcher la mise en œuvre d’une coupure qui leur a été demandée et, si cette coupure doit néanmoins avoir lieu, empêcher ou atténuer autant que possible les effets négatifs que cette mesure aurait sur les droits humains ». Au Sénégal, les opérateurs ont coopéré suite à la demande du gouvernement.