La Déclaration pour le futur d’Internet (DFI), une déclaration commune de régulation de l’espace numérique, a été signée par 61 Etats. Parmi eux, seulement quatre pays africains…
Quatre pays africains ont signé, le 28 avril dernier, la Déclaration pour le Futur d’Internet (DFI). Le document, portant sur des principes communs sur l’utilisation et la régulation d’internet, ressemble à s’y méprendre à un traité international. Au moment de la signature de la DFI, quatre pays africains faisaient partie de la soixantaine de signataires : le Kenya, le Niger, le Sénégal et le Cap-Vert.
Une déclaration forte, car la DFI oblige les signataires notamment à certifier qu’ils s’inscrivent dans « un internet mondial » où « les gouvernements s’abstiennent de couper Internet ou d’y limiter l’accès ». Mais aussi à « promouvoir le partage d’informations sur les menaces de sécurité » et empêcher « tout blocage de contenus conformes aux principes de neutralité du Net ».
Pour un public non averti, les expressions utilisées dans le texte de la DFI peuvent ressembler à un discours bateau. Mais il n’en est rien. La DFI fait suite aux discussions du sommet sur la démocratie de décembre dernier. Le document est un accord qui relève du droit public international, avec force de loi.
Les coupures d’internet en Afrique
Pour le journaliste et spécialiste en Big Data et en cyberdéfense, Faustine Ngila, les coupures d’internet et le blocage des réseau sociaux dans les pays africains coûte 2 milliards de dollars à l’Afrique chaque année. Selon la société britannique Top10VPN, 21 Etats africains ont coupé l’accès à internet ou aux réseaux sociaux entre 2020 et 2022.
Des coupures plus ou moins légitimes, et pour des raisons diverses et variées. Par exemple, le blocage des réseaux sociaux dans certains pays africains relevait, initialement, d’un problème de transgression par les médias sociaux des lois nationales des pays concernés. Dans d’autres, notamment le Tchad qui enregistre la plus longue coupure — WhatsApp a été inaccessible pendant 5 mois en 2020 —, il s’agissait de réprimer l’opposition politique. Comme en Tanzanie où, la même année, internet a été inaccessible pendant plus de 2 mois. Au Togo, des coupures de réseaux sociaux ont été enregistrées au moment des dernières élections.
Cependant, la DFI n’a pas été signée par ces pays africains accusés de « limiter la liberté d’accès à internet » qui se sont abstenus de parapher le document, au même titre que d’autres pays africains où internet n’a pourtant jamais été coupé.
Selon le think-tank américain Brookings Institution, la DFI a été mise en place « pour diviser le monde virtuel ». « La Déclaration pour le Futur d’Internet légifère une fracture mondiale. (…) Elle appelle à éliminer, à terme, les pays dont les gouvernements sont jugés autoritaires. Elle appelle également à la concentration des données personnelles collectées », assure le think-tank.
Qui contrôle Internet ?
Qui possède ou contrôle Internet ? Peu d’utilisateur du net le savent, mais c’est la Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet (ICANN) qui contrôle, physiquement, les clés d’interconnectivité d’internet. L’un des créateurs du protocole d’Internet, Jon Pastel, était justement contre les premières tentatives de centraliser les protocoles internet au sein du même organe — qui était alors l’IANA.
Car l’ICANN a été créée vers la fin de la Guerre froide, afin d’empêcher la mise en place, par l’Allemagne de l’Est, d’un règlement sur le stockage et la protection des données. Une préoccupation partagée par Pastel. Mais au lendemain de la mort de ce dernier, peu de temps après la chute de l’Union soviétique, l’ICANN a été créée, et avec elle une architecture d’internet qui en donne le contrôle à une société du Silicon Valley.
La « neutralité du Net » dont parle la DFI, elle, a commencé à être légiférée après les attentats du 11 septembre 2001. Il s’agissait de définir un cadre légal pour le volet de surveillance des correspondances électroniques du Patriot Act, la loi antiterroriste américaine qui, entre autres, avait légitimé la torture. Une loi qui a servi de droit comparé pour plusieurs législations, dont la majorité des lois antiterroristes des pays d’Afrique francophone. La neutralité du Net se manifeste depuis aux Etats-Unis dans la Commission fédérale des communications (FCC), ou l’Arcep en France, l’ECA en Ethiopie, l’ARTCI en Côte d’Ivoire… En d’autres termes, une « police d’Internet ».
« Tentative ratée d’embarrasser la Chine et la Russie »
Avec la signature de la DFI, le Niger, le Sénégal, le Cap Vert et le Kenya adhérent au « partage d’informations concernant les menaces de sécurité ». Ces pays acceptent aussi de « promouvoir le travail pour réaliser les avantages des flux de données gratuits avec confiance sur la base de valeurs partagées en tant que partenaires partageant les mêmes idées, démocratiques, ouverts et tournés vers l’extérieur ». Autrement dit, une Constitution internationale pour l’usage d’internet, qui ôte aux pays signataires le droit de couper leur connexion, même si leur sécurité nationale en dépendait.
Lire : L’Afrique est-elle en train de passer à côté de sa cybersécurité ?
D’ailleurs, selon un article titré « Gouvernance multipartite d’Internet », les pays signataires sont obligés de « protéger et renforcer le système de gouvernance d’internet, y compris le développement et le déploiement de ses principaux protocoles techniques et autres normes et protocoles connexes ».
Brookings Institution considère la déclaration « divisive », et estime qu’il s’agit d’« une tentative ratée d’embarrasser la Chine et la Russie ». Avec 60 pays signataires, parmi lesquels la quasi-totalité de l’Occident, la DFI parait aussi être une simple réaction au conflit russo-ukrainien. Pour des spécialistes du web, il s’agit d’un traité international passé en catimini, obligeant les pays signataires à ne jamais intégrer plusieurs protocoles — X.25, DNIC… — ou, par exemple, un réseau étendu (WAN) à portée nationale. Sans parler, évidemment, des réseaux superposés et leurs protocoles, comme ceux utilisés pour Freenet.