Félix Tshisekedi enchaîne les rencontres pour évoquer la sécurité dans la région du Kivu, frontalière avec le Burundi, l’Ouganda et le Rwanda. Ce mercredi, en Jordanie, il a rencontré Paul Kagame. Pour rétablir des relations de bon voisinage ?
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Félix Tshisekedi voit, mois après mois, sa popularité descendre en flèche — même parmi ses partisans. Les critiques ironisent volontiers sur les voyages du président, qui semble passer plus de temps hors des frontières congolaises qu’à Kinshasa. Ce mercredi, il était en Jordanie, où il rencontrait le président rwandais Paul Kagame, alors que se tient, depuis hier, le Sommet de Jordanie. Alors que Kagame continue de provoquer les autorités congolaises, Félix Tshisekedi semble malgré tout conciliant avec son homologue.
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Malgré la détente des relations entre la RDC et le Rwanda, depuis l’élection de Tshisekedi en 2019, Kagame continue d’attaquer régulièrement son voisin. Et le chef de l’Etat allie les actes à la parole : Kagame a participé au pillage des ressources et au financement des milices dans l’est de la RDC — il y avait même déployé son armée pendant la deuxième guerre civile.
Les Nations unies et les ONG ont multiplié les rapports dénonçant les crimes du Rwanda de Kagame au Kivu. Entre le rapport Mapping, les témoignages et le très récent documentaire de Thierry Michel « L’empire du Slience », l’implication personnelle de Kagame dans le pillage de l’or et du coltan, entre autres, ainsi que dans le massacre des civils, n’est plus à prouver.
Paul Kagame et le pillage du Kivu
Si Paul Kagame affirmait en marge du Sommet de Paris, en mai dernier, que « le Rwanda n’a commis aucun crime en RDC », et alors que Tshisekedi bottait en touche en rappelant que « ce ne sont pas les Congolais qui accusent, ce sont les experts de l’ONU », le président de la RDC est sommé par son peuple de reprendre le dessus sur son homologue rwandais.
D’autant que, en multipliant les concessions vis-à-vis de Kagame, Tshsiekedi n’y risque pas seulement une chute de sa côte de popularité. Alors que les magnats accusés de piller les minéraux congolais continuent de tomber les uns après les autres, Tshisekedi est accusé d’accorder un traitement de faveur à Kagame, que ce dernier ne lui rend pas forcément.
Pourtant, l’œuvre du rebelle et criminel de guerre Laurent Nkunda prouve qu’en vingt ans de guerre civile, Kagame s’est toujours tenu derrière le pillage du Kivu. Selon l’ONG Global Witness, « à Kivu, une vingtaine d’avions chargés de minerais décollent chaque jour pour le Rwanda. (…) Tout le monde le sait, mais personne ne fait rien ».
Outre les sommes faramineuses rapportées par les ressources pillées par les troupes et milices de Kagame en RDC — 250 millions de dollars par mois à la fin des années 1990 —, qui ont notamment contribué à écrire le mythe du « miracle économique rwandais », répondre à la question des crimes de guerre est également primordial.
Le « plus grand criminel de guerre en fonction aujourd’hui »
Si le groupe terroriste ADF, les troupes burundaises, rwandaises et même congolaises ayant participé à faire perdurer la guerre sont tous accusés de meurtre de civils, la responsabilité de Kagame dans le massacre des réfugiés rwandais, elle, ne fait aucun doute. Selon les témoignages d’anciens soldats du Front patriotique rwandais (FPR) — entendre : le groupe politico-militaire de Paul Kagame —, au moins 100 000 civils rwandais ont été tués par le FPR en RDC entre 1996 et 2003.
Un génocide documenté dans le rapport Mapping, mais dont les témoignages choquants de civils du Kivu prouvent aussi la corrélation avec l’entrée en guerre de Kagame.
Et si les évènements de la guerre civile ne suffisent pas à remettre en question les tentatives de Félix Tshisekedi de renouer avec son homologue de l’est, en raison de la sécurité de la région que le président de la RDC qualifie d’« obsession », peut-être l’agressivité de Kagame suffira-t-elle.
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Entre le « négationnisme » de la responsabilité de son pays dans deux décennies de drames le long du Kivu et la menace à peine voilée de Kagame de déclarer la guerre à la RDC, Tshisekedi réussira-t-il à ne plus ménager celui que les politologues qualifient du « plus grand criminel de guerre en fonction aujourd’hui » ?