Après la mort de 69 enfants gambiens contaminés par une médicament pour la toux importé d’Inde, New Delhi décline toute responsabilité, se basant sur des rapports très contestables.
Début octobre dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) lançait une « alerte » concernant quatre produits médicaux « de qualité inférieure », c’est-à-dire ne répondant pas aux normes de qualité. Parmi ceux-ci, deux sirops contre la toux pour bébés. Tous produits par le laboratoire indien Maiden Pharmaceuticals Limited. « À ce jour, le fabricant déclaré n’a fourni aucune garantie à l’OMS sur la sécurité et la qualité de ces produits », indiquait alors l’organisation mondiale.
Et pour cause : fin juillet, la Gambie détectait une étrange augmentation des cas de lésions rénales aiguës chez les enfants de moins de 5 ans. Le bilan avait été terrible : 69 enfants étaient morts de ces lésions, selon les chiffres officiels. Peut-être bien plus en réalité.
L’Inde avait immédiatement réagi en annonçant l’ouverture d’une enquête sur les produits concernés. Imposant par ailleurs l’arrêt de la production de son usine au laboratoire. Avant d’assurer à l’OMS que les échantillons testés n’avait permis de relever aucune contamination. Un groupe d’experts indiens avait alors été mandaté pour poursuivre les analyses.
L’OMS ne publiera pas ses rapports
Finalement, le rapport de ces experts est allé dans le même sens que celui du gouvernement indien. Pas satisfaisant pour l’OMS, qui a décidé de réfuter les conclusions des experts : le Drugs Controller General of India (DCGI) a vu le rapport lui arriver sur son bureau le 24 janvier dernier, indiquant qu’il n’y avait aucun lien démontré entre les décès d’enfants gambiens et les produits pointés du doigt par l’OMS. Mais ni le gouvernement indien ni le DCGI ne veulent communiquer les résultats des analyses.
Pourtant, les conclusions contredisent les tests commandés par l’OMS, qui ont, eux, révélés des contaminations des médicaments vendus par Maiden par deux toxines — diéthylène glycol (DEG) et éthylène glycol (EG) — concernant quatre échantillons sur les 23 testés.
Le glycol est un liquide visqueux généralement utilisé pour les systèmes de refroidissement, comme les radiateurs. Des cas similaire de présence de glycol dans des médicaments ont été enregistrés précédemment en Inde, aux États-Unis, au Bangladesh et au Panama. En Afrique, le Nigeria a lui aussi eu affaire à un tel scandale. L’Inde voit, dans l’affaire gambienne, « une tentative de souiller l’image de l’Inde » et de son secteur pharmaceutique.
La responsabilité de Maiden Pharmaceuticals en question
Mais pourquoi l’OMS, à l’exception d’avoir réitéré son avertissement contre les médicaments produits par Maiden, ne publie pas les résultats de ces tests ?
Selon The Wire, l’OMS est accusée de ne pas faire en sorte de prouver le lien de cause à effet dans cette affaire. L’institution mondiale s’appuie sur « le Règlement sanitaire international », indiquant que si elle apporte son « soutien technique » dans les enquêtes, elle ne publiera pas les résultats « sans l’autorisation du gouvernement de Gambie ». Et l’OMS de renvoyer la responsabilité de cette évaluation clinique au ministre gambien de la Santé.
C’est donc, depuis deux semaines, l’imbroglio total dans ce dossier : le gouvernement indien assure n’avoir eu aucun rapport sur les liens de cause à effet entre les médicaments de Maiden et les morts d’enfants gambiens. Mais l’OMS lui indique que c’est en entrant en contact avec le gouvernement gambien qu’il trouvera les réponses à ses questions. Un rapport d’une commission parlementaire gambienne impute, enfin, de son côté, la responsabilité des décès à Maiden Pharmaceuticals.
Récemment, en Ouzbékistan, 18 enfants seraient morts après avoir consommé des médicaments fabriqués en Inde. Là encore, l’Inde avait exigé des preuves et des rapports, assurant ne pas être responsable.
La plainte contre Maiden Pharmaceuticals ne voit pas le jour
Reste que Maiden Pharmaceuticals n’en est pas à son premier scandale : le laboratoire indien figurait déjà sur plusieurs listes noires, en Inde, mais aussi à l’international — au Vietnam par exemple — pour ne pas avoir répondu aux normes en vigueur. Les médicaments du laboratoire ont également à plusieurs reprises été refusés aux tests de contrôle qualité.
Plusieurs mois après le début de l’affaire en Gambie, où en est-on ? Le rapport parlementaire estime que « le gouvernement doit intenter une action en justice contre Maiden Pharmaceuticals pour avoir exporté des médicaments contaminés en Gambie ». Le président gambien, Adama Barrow, a assuré vouloir « faire toute la lumière » sur les responsabilités. Mais une plainte ne serait pas dans les tuyaux. La présidence voudrait créer un « laboratoire national de contrôle de la qualité des médicaments et de la sécurité alimentaire ». Mais, comme prévient Médecins sans frontières (MSF), la responsabilité ne doit pas incomber exclusivement aux pays importateurs. Or, les autorités indiennes sont aujourd’hui dans le déni, malgré la mort de plusieurs dizaines d’enfants gambiens.