Quatre jours après les sanctions de la Cedeao à l’encontre du Mali, l’heure est à l’inquiétude. Mais que vont réellement impliquer ces décisions ouest-africaines ?
Dimanche 9 janvier, les présidents de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ont lourdement sanctionné le Mali d’Assimi Goïta. Parmi les sanction, la rupture des relations diplomatiques de tous les pays de la sous-région avec le Mali, la fermeture des frontières communes, la suspension des transactions économiques entre les pays de la zone et le Mali ou encore le gel des avoirs maliens à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
Depuis, la France a emboîté le pas à la Cedeao. Paris affirme soutenir les sanctions contre Bamako et indique que l’Europe se prépare à son tour à sanctionner le Mali. Cette semaine, les ministres européens des Affaires étrangères se réuniront en France pour évoquer des sanctions qui seront effectives à la fin du mois. En attendant, la compagnie aérienne Air France a suspendu ses liaisons avec le Mali, « en application des décisions des autorités françaises » explique l’entreprise.
Mais qu’impliquent réellement les sanctions prises par la Cedeao à l’encontre du Mali ?
Les Maliens, premières victimes de la Cedeao
La Cedeao a estimé, dimanche, que la feuille de route d’Assimi Goïta « signifie simplement qu’un gouvernement militaire de transition illégitime prendra le peuple malien en otage au cours des cinq prochaines années ». Mais n’est-ce pas l’instance sous-régionale qui, au contraire, vient de prendre les Maliens en otages ? La presse malienne, et plus généralement africaine, voit en ces sanctions une décision « contre le peuple malien » et non contre la junte militaire. Demba Moussa Dembélé, directeur du Forum africain des alternatives, déplore « un grand décalage entre et les dirigeants et les peuples ». La Cedeao, dit-il, « avait pour objectif de rapprocher ces peuples et de promouvoir leur solidarité et leur développement économique et social. Malheureusement, les dirigeants successifs de cette Communauté ont travesti cet idéal et les aspirations démocratiques et d’intégration des peuples en formant un syndicat voué à la défense du pouvoir de ses membres ». Et de l’Occident.
Un officiel, présent à Accra lors du sommet sur le Mali dimanche dernier, explique au Journal de l’Afrique que la décision risque d’avoir l’effet inverse : « Cela risque de souder le peuple malien, un peuple très fier, autour de Goïta ». Le diplomate aurait préféré « un dialogue au lieu d’une épreuve de force entre la Cedeao et le Mali ». D’autant que les sanctions imposées à Accra vont forcément légitimer encore un peu plus Goïta et son gouvernement. Le président malien peut en effet surfer sur deux éléments : le sentiment anti-français et l’image déplorable de la Cedeao, une instance inféodée à l’Occident. Les sanctions risquent également d’attiser la défiance des Maliens envers les autres chefs d’Etat africains. Même Umaro Sissoco Embaló, le président bissau-guinéen, « a retourné sa veste depuis sa visite en France en octobre », indique une source proche du chef de l’Etat.
Le Sénégal, l’autre victime des sanctions
Les pays de la Cedeao qui entretenaient des relations commerciales intenses avec le Mali se sont-ils tiré une balle dans le pied ? Le premier pays exportateur de la sous-région vers le Mali a été, en 2021, le Sénégal. Les exportations de biens de Dakar à Bamako ont en effet dépassé les 470 milliards de francs CFA l’an dernier. Or, avec la suspension des transactions économiques entre pays de la Cedeao et du Mali, à l’exception des produits médicaux et des produits de première nécessité, le Sénégal pourrait bien être l’une des principales victimes des sanctions ouest-africaines. L’embargo peut cependant être une opportunité pour d’autres pays ne faisant pas partie de la Cedeao : l’Algérie et la Mauritanie, deux pays ayant des frontières communes avec le Mali.
Du côté de l’instance sous-régionale, on redoute d’ailleurs qu’Alger et Nouakchott contrecarrent leurs plans. Si bien que dans son communiqué du 9 janvier dernier, la Cedeao a « invité » les deux pays frontaliers du Mali « non-membres de la Cedeao, notamment l’Algérie et la Mauritanie », à se plier à ses décisions. Une délégation ouest-africaine se rendre dans ces deux pays « incessamment ». L’Algérie a cependant réitéré son soutien au Mali, affirmant rester fidèle au « principe de la promotion de solutions africaines aux problèmes de l’Afrique qui fonde les contributions qualitatives au sein de l’Union africaine ». L’Algérie a « exprimé sa pleine disponibilité à accompagner activement la République du Mali et la Cedeao dans la voie salutaire de la compréhension mutuelle autour d’une vision solidaire qui sauvegarderait les intérêts supérieurs du peuple malien frère».
Des sanctions qui font le lit du terrorisme ?
Les sanctions de la Cedeao ont-elles été dictées par Paris ? Nul doute que Paris est intervenu pour persuader « ses » présidents de placer le Mali sur le banc des accusés. Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian, depuis l’annonce de la fin de Barkhane, ne supportent pas la présence de Wagner au Mali. Selon plusieurs sources, quelques centaines d’hommes du groupe paramilitaire russe seraient déjà postés dans le pays. Or, le communiqué de la Cedeao vise clairement l’accord qui lie le Mali et Wagner. Etonnant lorsque l’on sait à quel point Emmanuel Macron n’a pas respecté la Libye ces dernières années. La Cedeao semble l’avoir oublié… De son côté, Paris est en train de réduire ses 5 000 soldats dans la région, alors que ceux-ci luttaient contre les terroristes au Sahel.
En privant le Mali de ses avoirs, la Cedeao sait donc que Bamako aura du mal à payer ses fonctionnaires, et surtout ses militaires. Or, la fermeture des frontières n’arrêtera pas l’insécurité au nord du pays. La décision de l’instance ouest-africaine « est de nature à faire le jeu des groupes terroristes qui sévissent au Mali. En effet, quand on cherche à isoler et étouffer un pays, on accroît forcément ses difficultés et on affaiblit ses capacités à y faire face », résume Demba Moussa Dembélé. De quoi faire le jeu des terroristes ?