Entre l’intelligence artificielle, le passif colonial, et les initiatives littéraires, la littérature en Afrique se transforme. Dans quel contexte la littérature africaine a-t-elle évolué ? Et quelle réalité affronte-t-elle ?
Il est loin désormais le temps de Thomas Mofolo, Frantz Fanon, Haji Mukhtar et Naguib Mahfouz. La littérature africaine a quitté son cadre et a rejoint le politiquement correct occidental. Peu d’écrivains africains trouvent une tribune ou même un éditeur. La littérature africaine n’a plus d’écho qu’en dehors de l’Afrique. Et même dans ce cas, les quelques intellectuels africains qui publient un ouvrage n’ont que peu de perspectives. Si certains considèrent l’écriture comme une complétion d’une autre carrière remplie. Les écrivains de vocation, eux, ont dû se convertir.
L’ère de la littérature africaine automatisée
Certains blâment l’intelligence artificielle (IA) pour ce contexte. En effet, la saisie automatique corrige l’orthographe et finit les phrases, entre autres. Dans le secteur journalistique, qui monopolise quasiment les écrivains de formation, l’IA a pris progressivement la place des journalistes. Si avant, un journaliste devait obtenir l’information et la présenter selon un code éthique et une approche analytique. Maintenant, l’IA trouve l’information en ligne, la recoupe, la recolle et la présente instantanément en un format minimaliste. Et encore, cela vaudrait pour la presse écrite. La seule perspective possible pour un journaliste africain actuellement serait de produire des textes sensationnalistes. Certains opinent, d’autres réfutent l’information, mais tous cherchent l’approbation d’une partie des consommateurs.
La vérité que devait délivrer la technologie de l’information a engendré deux choses. La promesse de la liberté et la conséquence de la facilité. L’écriture de l’IA est considérée par certains comme une menace à l’intelligence humaine. Mais bien que l’intellect soit facile à automatiser, l’intelligence ne l’est pas. C’est dans ce cadre qu’un concept est né. L’intelligence émotive, souvent dénigrée, sauvegarde l’humain dans la littérature.
Le processus de l’écriture des africains est scientifiquement différent de celui des ressortissants des autres régions du monde. Selon un groupe de psychanalystes des plus grandes universités mondiales, L’analyse critique est plus poussée chez les Africains. En raison d’une histoire contemporaine remplies de tragédies selon certains. Selon d’autres, il s’agirait d’une empathie inédite que l’on n’acquiert que dans un contexte économique défavorable. Ces explications pourraient tout aussi bien être unidimensionnelles. Elles n’en restent pas moins pertinentes pour expliquer la suite.
La littérature africaine contemporaine face aux défis
En réalité, la dépendance des écrivains africains des éditeurs occidentaux, ou du financement étranger n’est pas nouveau. Malgré les litiges entre écrivains et maisons d’édition, la créativité et la liberté n’ont jamais été aussi bien protégées qu’aujourd’hui. Ce que cherchent les écrivains africains est une vraie promotion objective. Beaucoup de critiques occidentaux ramènent aujourd’hui le succès de certaines œuvres africaines à la nationalité des auteurs. Selon eux, la tendance « politiquement correcte » obligerait les panels des prix littéraires à garantir la victoire des africains. Pourtant, les nouvelles, essais, romans et autres productions africaines ont du mal à trouver le succès qu’ils méritent.
En lisant les productions de grands écrivains africains contemporains, on se rend compte de ce paradigme. L’exemple de la romancière nigériane Chimamanda Adichie est des plus clairs. Ses dix livres sont considérés comme des références en littérature africaine. Toutefois, elle a dû attendre que la chanteuse Beyonce la reprenne dans une chanson pour être récompensée. Depuis, elle a obtenu des prix, et a été nommée parmi les 50 leaders mondiaux par Fortune Magazine.
Un autre exemple serait le congolais Alain Mabanckou. Malgré une production riche dans les années 1990, il n’a été récompensé qu’après avoir signé un contrat avec une maison d’édition française. Qu’il a dû changer après sa prise de position contre Emmanuel Macron. En effet, Mabanckou a refusé de participer au cercle de réflexion de Macron sur la francophonie.
Un dernier exemple serait Ngugi wa Thiong’o. L’écrivain kényan est considéré comme le plus influent en ère postcoloniale. Il n’a pourtant obtenu son premier prix international qu’en 1990. Ce grand essayiste a pourtant lutté contre le néocolonialisme et la dictature. Il a soutenu toutes les causes humanitaires imaginables. Pourtant, au niveau mondial, il a été boycotté pour sa critique envers la Grande-Bretagne. Sur le continent, il est quasi-inexistant.
L’état de la littérature africaine moderne
La nouvelle génération d’écrivains africains ne s’investit donc plus à un niveau national ou continental. Certains préfèrent une carrière de scénariste, de journaliste ou de propagandiste. D’autres ont leurs propres blogs, souvent écrits en anglais. Mais certains écrivent en langues africaines et essayent de créer de nouveaux concepts. On remarque progressivement le début de la commercialisation des bandes dessinées et des contes pour enfants en swahili ou en langues bantoues.
En ce qui concerne les écrivains contemporains décédés, leurs héritiers trouvent progressivement de nouveaux moyens de perpétuer leurs héritages. Les romans de l’écrivain nigérian, Chinua Acheba, seraient en cours de négociation pour leur importation à la télévision nationale. D’autres pays, comme l’Egypte, ont produit des dizaines de films inspirés des grands romanciers nationaux. Dans les années 1960 à 1990, des romans de Naguib Mahfouz ont été produits au cinéma.
Enfin, même si l’on croit que les Africains lisent peu, plusieurs initiatives encouragent la lecture sur notre continent. La journaliste ivoirienne Rita Droh a réussi à mobiliser des milliers de jeunes pour cette fin. Actuellement, son programme a réussi à distribuer des dizaines de milliers de livres en Côte d’Ivoire. L’Institut africain International (IAI), a fondé récemment une base de données gratuite pour promouvoir les éditeurs et auteurs africains.
Au Burkina Faso, des écrivains de renom publient leurs livres à un prix abordable. Parmi eux, Jean Claude Naba, l’auteur militant de « A quand l’Afrique », ainsi que la grande Monique Ilboudo, qui a publié en 2020 son essai « Carrefour des veuves ». D’autres initiatives existent, mais elles sont pour la plupart portées par les instituts linguistiques affiliés aux ambassades étrangères. Et même si le but est de promouvoir le français ou l’anglais, cela permet à beaucoup de jeunes d’obtenir des livres à un prix modique.