En Libye, alors que le Premier ministre Fathi Bachagha a obtenu la confiance du Parlement, plusieurs ministres ont été enlevés. Pendant ce temps, l’ONU dénonce « des actes d’intimidation » de la part du camp Bachagha.
Dans un communiqué de presse, le porte-parole du Secrétaire général de l’ONU juge « douteux » le vote de la Chambre libyenne des Représentants (HoR), qui a validé, mardi, le gouvernement présenté par le Premier ministre que ce même parlement avait désigné quelques semaines plus tôt, Fathi Bachagha.
« Le vote n’a pas respecté les normes de transparence et la procédure. Il y a eu des actes d’intimidation avant la session », a assuré mercredi Stéphane Dujarric.
De son côté, la représentante spéciale de l’ONU, Stephanie Williams, a annoncé avoir convoqué le chef du HoR, Aguila Salah, et le président du Sénat, Khaled al-Michri, pour débuter des pourparlers.
En dépit de la défiance onusienne, Bachagha a tenté d’avancer ses pions : il a prêté serment devant le HoR ce jeudi 3 mars et réussi à obtenir la confiance du Parlement au moment de présenter son gouvernement.
Cependant, des premiers couacs ont émaillé les débuts du gouvernement libyen. Le ministre de l’Economie, Jamal Shaaban, tout juste nommé, a finalement déclaré qu’il ne rejoindrait pas le nouveau gouvernement, « en raison des doutes sur le processus de vote », selon lui.
Dans la matinée de ce jeudi, le bureau de Bachagha a par ailleurs déclaré que trois ministres avaient été enlevés alors qu’ils tentaient de rejoindre Tobrouk par la route. Parmi eux, les futurs ministres de la Culture et des Affaires étrangères, l’ancien ambassadeur de la Libye en Italie Hafed Gaddour et Salha al Drouqi, seule femme du gouvernement Bachagha.
Avec dix ministres absents de la prestation de serment de ce jeudi 3 mars, difficile de savoir qui est le troisième ministre enlevé.
Bachagha accuse Dbeibah
Le convoi de deux des ministres désignés a été pris en embuscade dans la ville de Misrata, ville d’origine des deux chefs de gouvernement rivaux — le Premier ministre sortant qui cherche à conserver sa place, Dbeibah, et son successeur désigné par le Parlement, Bachagha. Les forces armées conjointes de Misrata (MJTF), une milice financée par le gouvernement à hauteur de 20 millions d’euros le 20 février dernier, ont revendiqué l’attaque.
Les soldats des MJTF sont connus pour leur opposition à Khalifa Haftar, l’homme fort de l’est et allié d’Aguila Salah et de Fathi Bachagha. Ils avaient participé, aux côtés des forces turques et des milices de la Tripolitaine, à une opération visant à repousser l’attaque de Haftar sur Tripoli en 2019.
De son côté, Fathi Bachagha accuse directement Abdel Hamid Dbeibah d’« avoir recours à la force » pour « tenter d’empêcher sa prestation de serment ». Il accusait aussi, mercredi, le Premier ministre actuel d’avoir fermé l’espace aérien libyen afin d’empêcher les nouveaux ministres d’atterrir à Tobrouk à temps pour la prestation de serment de ce jeudi.
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Les nouveaux alliés de Dbeibah
Abdel Hamid Dbeibah, pour sa part, a déclaré que le HoR avait « comploté pour imposer un nouveau gouvernement, afin de se maintenir lui-même au pouvoir ». « Le processus d’approbation de ce gouvernement est fabriqué de toutes pièces », déplore Dbeibah qui assure qu’il « restera en place jusqu’à la tenue des élections législatives en juin ».
« Ce qui se passe, c’est qu’on a donné les autorités de l’État à un parti qui a été impliqué dans des effusions de sang et des meurtres, et qui a mené la guerre contre Tripoli en 2019. Ceux qui se sont habitués à la guerre ne peuvent pas vivre sans elle. Ils ne comprennent que le langage des armes. Ils ne peuvent pas s’arrêter, pas même par une défaite militaire, car une telle défaite peut leur donner envie de revenir de manière violente, ce qui finira par conduire au même échec », a insisté le Premier ministre libyen sortant. Une allusion à peine voilée à Khalifa Haftar, qui soutient Bachagha.
Mais Dbeibah et l’ONU ne sont plus les seuls à dénoncer des irrégularités dans le processus du vote de confiance du gouvernement Bachagha. Un personnage influent et très discret en Libye a aussi fait une annonce publique : Ali Abou Sbeiha, le chef des tribus du Fezzan.
Selon Abou Sbeiha, « outre le soutien ou le rejet des gouvernements concurrents de Dbeibah ou de Bachagha ou la violation de la feuille de route politique et la privation du Fezzan de ses droits, la Chambre des représentants (HoR) n’a pas réussi à établir le quorum requis par son règlement intérieur, qui est de 88 membres ».
Le chef tribal rappelle en effet que seuls 82 parlementaires ont donné leur confiance au gouvernement Bachagha mardi, contrairement aux déclarations du HoR qui affirmait que 92 députés avaient en faveur de ce même gouvernement.
Pour rappel, les tribus du Fezzan, région martyrisée par l’ANL de Khalifa Haftar, soutenaient, lors de l’élection présidentielle avortée de décembre dernier, le fils de Mouammar Kadhafi, Saïf al-Islam.