Ce lundi, en Libye, le vote de confiance pour le gouvernement de Fathi Bachagha n’a pas pu se tenir en l’absence d’un quorum. La liste des ministres divise, même au sein du parlement de Tobrouk, qui avait désigné Bachagha à la primature.
Au moment où un nouveau gouvernement émergeait dans les rangs de la Chambre des Représentants (HoR) libyenne, le chef du parlement de l’est, Aguila Salah, avait rencontré beaucoup de résistance. Et lorsque le parlementaire de Tobrouk a cherché à imposer l’ancien ministre de l’Intérieur, Fathi Bachagha, à la primature, le vote a dû se tenir à huis-clos, tant ce choix divisait.
La diffusion de la session du HoR du 10 février dernier avait alors été interrompue et l’on n’avait découvert que trois heures plus tard le verdict : les concurrents de Bachagha s’étaient miraculeusement « retirés » et l’on connaissait alors le nom du nouveau Premier ministre libyen. Mais les conditions de la désignation de Bachagha restent, aujourd’hui encore, entourées d’un certain mystère.
Selon des sources parlementaires du Journal de l’Afrique, les tensions sont loin de s’être apaisées. En marge du vote de confiance pour le gouvernement de Fathi Bachagha, présenté jeudi dernier au parlement de l’est et qui se déroulait ce lundi 28 février, une majorité de députés ont décidé de boycotter la session, accusant Bachagha de vouloir « diviser le pays ».
#URGENTE // Moftah Koueider: The quorum required to grant confidence to the government of #Bashagha is the absolute majority, that is, half + 1 with about 87 members +1 #Libya
#Parliament— قناة الخضراء _ green tv (Urgent_Libya) (@Greentvmedia) February 28, 2022
Ce mardi matin, Aguila Salah, le chef de ce parlement et allié politique de Bachagha, a proposé la tenue d’un nouveau vote… par téléphone. Une violation des règles de la chambre.
Et si, finalement, Aguila Salah ne contrôlait pas autant le HoR qu’on l’imaginait ? Pour rappel, même lorsqu’il avait promulgué la loi électorale pour l’élection présidentielle du 24 décembre dernier, finalement reportée puis annulée, Aguila Salah avait décidé unilatéralement du contenu du texte. Le vote de la loi s’était également déroulé en catimini et plusieurs parlementaires avaient assuré qu’aucun vote n’avait en réalité été organisé.
Salah peine à récolter du soutien pour Bachagha
Concernant la liste gouvernementale proposée par Bachagha, un député indique au Journal de l’Afrique que « Bachagha n’a pas tenu ses promesses d’inclure toutes les composantes libyennes dans le nouveau gouvernement. Il a juste choisi ses alliés, ceux de Khalifa Haftar et ceux d’Aguila Salah, de manière à avoir une représentativité géographique des trois régions libyennes ».
BREAKING | Prime Minister-designate Fathi #Bashagha transmits the final government formation to the Presidency of the House of Representatives for a vote of confidence. #Libya pic.twitter.com/tf0ONizoh3
— صحيفة المرصد الليبية (@ObservatoryLY) February 28, 2022
Il semblerait donc que le nouveau Premier ministre libyen, soutenu par l’Egypte, le Maroc, les Emirats arabes unis (EAU) et quelques pays occidentaux, cherche à contenter ses alliés politiques. Avec deux alliés principaux : le premier, Khalifa Haftar, qui le soutient militairement ; et le second, Aguila Salah, qui l’a aidé à devenir Premier ministre.
Que signifie l’absence de quorum de cette session du HoR ? Il semble établi que le Premier ministre sortant, Abdel Hamid Dbeibah, est encore soutenu par une partie des élus du parlement de l’est. Il faut rappeler que 130 députés de ce même parlement, connu pour être opposé à l’élite tripolitaine, avaient approuvé l’actuel gouvernement le 10 mars 2021. Bachagha semble moins faire l’unanimité que son prédécesseur : il lui manque au moins 88 députés pour atteindre le quorum et obtenir le vote de confiance.
Le porte-parole du HoR, Abdallah Belhiq, a en effet déclaré dans la soirée de lundi que 100 députés étaient à Tobrouk pour le vote. Un parlementaire, Ibrahim Al-Dressi, a révélé qu’il s’était entretenu avec Aguila Salah ce même soir. Ce dernier aurait expliqué au chef du gouvernement récemment désigné que son gouvernement n’était pas assez représentatif et qu’il devait donc revoir sa copie s’il voulait que les députés du HoR acceptent de donner leur confiance à Bachagha.
Diplomatie et lobbying, les jokers de Dbeibah
De son côté, à Tripoli, le Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah ne décolère pas. Il s’est exprimé ce lundi lors d’un rassemblement populaire contre la prolongation de la période de transition. Une réponse directe au projet de Bachagha, qui compte relancer une transition de quatorze mois. « Le parlement libyen est maintenant pris en otage », estime Dbeibah.
Dbeibah a, ces derniers jours, indiqué avoir travaillé sur le cadre administratif pour la tenue d’élections législatives, prévues pour le mois de juin prochain. Il prône également l’importance de la tenue d’un référendum constitutionnel, un projet qui patine depuis 2017.
De plus, face à son abandon par la Manul et par sa cheffe, la représentante spéciale de l’ONU, Stephanie Williams, Dbeibah s’est lancé dans une mission diplomatique dont l’issue est encore incertaine.
L’objectif est, en premier lieu, de rapprocher Tripoli et Alger. En pleine crise du gaz, Dbeibah a activé les accords gaziers entre Sonatrach et la NOC libyenne. Reste à savoir si le ministre des Hydrocarbures Mohammed Oun arrivera à obtenir la coopération de Mustapha Sanallah, le chef de la NOC, avec lequel il est en désaccord.
Dbeibah a également déploré la position égyptienne. L’Egypte est le seul pays soutenant ouvertement et agressivement Bachagha et souhaitant que ce dernier remplace Dbeibah. La ministre libyenne des Affaires étrangères Najla Mangoush a convoqué le chargé d’affaires égyptien Tamer Mustafa. Le gouvernement libyen aurait vu d’un mauvais œil les appels des médias égyptiens à faire la guerre en Libye. La diplomatie égyptienne, elle, a tenu à défendre la « l’indépendance de la presse » en Egypte.
Après les derniers épisodes libyens, les observateurs commencent à se rendre compte que Dbeibah a encore de l’influence au sein du HoR d’Aguila Salah. Le Premier ministre sortant tentera certainement d’user de celle-ci pour discréditer le vote de confiance en faveur du gouvernement de Bachagha.
Dbeibah sait bien que si ce vote se passe dans des conditions discutables, les alliés occidentaux de Bachagha ne pourront plus le soutenir aussi ouvertement. Surtout si le nouveau Premier ministre libyen désigné décide d’en découdre avec les armes pour imposer son autorité à Tripoli.