Hier, la ministre libyenne des Affaires étrangères, Najla Mangoush, a été suspendue de ses fonctions et interdite de voyager, à l’approche du sommet de Paris sur la Libye. Une décision du Conseil présidentiel, que le gouvernement refuse d’accepter.
Le Conseil présidentiel au pouvoir en Libye a suspendu, par décret, la ministre des Affaires étrangères, Najla Mangoush, qu’il accuse de « violations administratives ». Il lui a également été signifié qu’elle serait désormais interdite de voyages. Plus tard dans la soirée, une porte-parole du Conseil présidentiel a ouvertement accusé Najla Mangoush d’avoir « mené une politique étrangère sans coordination » avec le Conseil. Une décision qui montre donc la distance qui sépare désormais le Conseil présidentiel du gouvernement.
D’autant que, si la ministre libyenne des Affaires étrangères n’a pas communiqué sur l’évènement; le gouvernement d’unité nationale (GNU) d’Abdel Hamid Dbeibah a, lui, clairement rejeté la décision du Conseil dans un communiqué, ce dimanche matin. Le gouvernement a déclaré que le Conseil présidentiel « n’a aucun droit légal de nommer ou d’annuler la nomination des membres du pouvoir exécutif, de les suspendre ou d’enquêter sur eux », ajoutant que ces pouvoirs sont « exclusifs au Premier ministre ». « Elle continuera à faire son travail », conclut, de façon laconique, le communiqué du GNU.
Les raisons profondes de la suspension de Najla Mangoush
Les luttes intestines à Tripoli surviennent six semaines avant les élections prévues le 24 décembre et quelques jours seulement avant la conférence internationale de Paris. Cette dernière a été organisée par le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian pour faire pression sur les autorités libyennes pour la tenue d’élections présidentielle et législatives à la date prévue. La participation de la vice-présidente américaine Kamala Harris est prévue pour le sommet français du 12 novembre, tout comme celle d’autres leaders de la communauté internationale.
L’expert de Global Initiative, Emadeddin Badi, estime que la suspension de Najla Mangoush est « liée aux commentaires qu’elle a faits sur l’attentat de Lockerbie dans une interview à la BBC cette semaine ». En effet, la ministre a parlé d’une éventuelle extradition, par Tripoli, de l’accusé de cet attentat de 1988. Il s’agit d’Abu Aguila Mohammad Masud, actuellement détenu en Libye. Les Etats-Unis accusent Masud, ancien membre des services de renseignement libyens, d’avoir assemblé et placé la bombe qui a fait exploser le vol Pan Am 103 au-dessus de la ville écossaise de Lockerbie en 1988, tuant 270 personnes. L’attentat avait été un des enjeux des relations entre la Libye de Kadhafi et les USA pendant de nombreuses années.
Outre cette option, les raisons ne manquent pas pour expliquer le tiraillement entre les deux sommets de l’exécutif tripolitain. En effet, avec les élections qui s’approchent, et l’échec de la GNU à repousser la date le temps que la loi électorale et les candidats potentiels soient plus consensuels pour les diverses factions armées du pays, la suspension de Najla Mangoush ressemble à une punition. Le Conseil présidentiel libyen pourrait également avoir agi en pensant que le gouvernement soutient le candidat de l’Est libyen — et de l’Occident — Khalifa Haftar, dont Najla Mangoush est la nièce.
Les élections ? Raison évidente
Mais la raison la plus évidente à ce qui semble être une scission du pouvoir de Tripoli serait l’échéance électorale. Les acteurs politiques, concentré sur la date qui semble inévitable, tentent de se placer sur l’échiquier politique du pays.
Le réel souci, actuellement, est qu’aucun candidat ne représente clairement les intérêts de Tripoli. Haftar, candidat le plus visible, outre les exactions dont il est accusé en marge de la guerre civile, n’a pas réellement le soutien des pays voisins, notamment celui de l’Algérie. Et ce, malgré ses liens avec la Russie.
Récemment, Haftar a renoué avec les pays européens grâce à une médiation du chef du parlement Aguila Salah Issa. Ce dernier a taillé, au bénéfice du maréchal, une loi électorale faite sur mesure, et a même fait voter une motion de censure contre le GNU.
Visiblement, pour le pouvoir tripolitain, faire front et négocier avec l’homme fort de l’Est n’est pas prévu dans l’agenda politique. Et avec la suspension de Najla Mangoush, qui a magnifié le rôle de l’Algérie et de l’Union africaine dans l’essor de la transition pendant le Sommet des voisins de la Libye, cette scission entre le Conseil présidentiel de Mohammed el-Menfi et le GNU d’Abdel Hamid Dbeibah ne fait qu’ajouter de l’huile sur le feu.