Avec le retour à l’ordre du jour des sanctions internationales à l’encontre de l’Israélien Dan Gertler, pour ses accords opaques de longue date avec Joseph Kabila, la justice suit désormais de près Beny Steinmetz, son frère Daniel et plusieurs hommes d’affaires israéliens.
Dan Gertler, Beny Steinmetz… Les noms de milliardaires israéliens qui ont vu leurs fortunes se décupler en Afrique, souvent illicitement, commencent à être célèbres. Ils représentent le pendant économique de l’influence occulte qu’exerce leur pays en Afrique. Une influence qui s’effrite progressivement à coups de sanctions et d’accusations pour Gertler, et d’emprisonnement pour Steinmetz.
Il a fallu plus d’une vingtaine d’années cependant pour que les justices africaines se bougent contre les diamantaires et magnats de l’industrie. Pour plusieurs raisons : ces hommes ont été discrets et protégés par un Israël qui a toujours eu une politique offensive en Afrique, notamment en matière de sécurité. Le meilleur ami des Etats-Unis, et dont le service de renseignement, le Mossad, est bien établi au Bénin, au Togo, au Maroc, en Afrique du Sud, en Guinée, au Soudan, en Ethiopie et dans d’autres pays, n’hésite pas à utiliser des méthodes intimidantes afin de promouvoir ses intérêts mutuels avec ses nationaux, qui pillent l’Afrique dans l’impunité la plus totale.
Du diamant à l’or noir
C’est un conte déroutant qu’est l’histoire de Dan Gertler. Depuis 1997, l’homme d’affaires a établi un empire minier en République démocratique du Congo (RDC). Des diamants au cuivre, en passant par le cobalt et le pétrole, Gertler a longtemps profité de sa proximité avec l’ex-président Joseph Kabila pour se remplir les poches. Il a aussi été l’artisan de la relation entre l’administration Bush et la RDC.
Le début des problèmes pour Gertler, et beaucoup d’autres businessmen israéliens et politiciens africains soutenant ces personnes, est marqué par l’affaire des SwissLeaks, impliquant la banque britannique HSBC en 2008, qui avait monopolisé les journalistes d’investigation du monde entier. Cette affaire est un tournant, car elle a levé le voile sur les finances de Gertler, des frères Steinmetz et du réseau de renseignement officieux du franco-israélien Didier Sabag.
Peu à peu, l’étendue continentale, voire mondiale, du réseau de Gertler s’est manifestée. En 2017, le Trésor américain a jeté la première pierre, soumettant Dan Gertler à des sanctions financières grâce à la loi Magnitski. Avec l’intervention directe de Donald Trump et de son avocat personnel Alan Dershowitz, ces sanctions ont été contournées, jusqu’au 8 mars 2021, date de leur rétablissement.
Ce qui est certain, c’est que malgré la liberté actuelle dont jouit Gertler, l’étau commence à se resserrer autour de son empire. Il reste cependant plus dangereux même que l’actuel président de la RDC Félix Tshisekedi, auquel il faudrait du courage pour libérer son pays de l’emprise de Gertler. Il ne faut pas oublier les mots conciliants du New York Times à l’égard de cet Israélien aux mille secrets, qui « a joué un rôle important en aidant les intérêts de la sécurité nationale des Etats-Unis ».
Jusqu’au trône américain
C’est sans doute parce que ces Israéliens servent les intérêts des Etats-Unis qu’ils ont si longtemps échappé à la justice. Outre leur représentants financiers, Gertler, les Steinmetz et d’autres ont tous les mêmes représentants légaux et la même agence de communication. Drôle de coïncidence.
L’avocat américain Alan Dershowitz représente ce réseau, et d’autres acteurs puissants mondiaux, dont le seul point commun est, outre leurs fortunes colossales et leur succès dans les affaires, un soutien sans faille à Israël. L’avocat représentait Trump et offrait son soutien à Clinton, tout de même.
En termes de communication, l’agence anglo-irlandaise Powerscourt et sa cellule de gestion de crises est décidément la préférée de ce réseau. L’agence a recruté pas moins de treize nouveaux directeurs pour ses différents services depuis décembre 2020. Les derniers en date, Peter Barrett (de la famille de Richard Barrett) et Sarah MacLeod sont de purs produits des renseignements américains et britanniques clandestins, la CIA et le MI6. Au niveau de l’Afrique, le créateur de Powerscourt, Rory Godson, représente personnellement l’Ivoirien Tidjane Thiam et, plus récemment, Isabel dos Santos.
Beaucoup de points de convergence entre les magnats israéliens, la politique africaine et les acteurs les plus obscurs des puissances mondiales, dans tous les secteurs. Mais comme disent les Américains, il faut toujours suivre l’argent. Tout comme Dan Gertler, d’autres Israéliens actifs en Afrique ont été au cœur de plusieurs polémiques, à savoir Beny Steinmetz, son frère Daniel, et Didier Sabag.
Dans l’œil du cyclone
Déjouée par la justice brésilienne, la dernière tentative de Beny Steinmetz de s’extirper des mailles du filet de la loi, en offrant son partenaire Vale, a échoué. Le diamantaire milliardaire franco-israélien était à la tête d’une fortune estimée à 8,5 milliards de dollars, ce qui en faisait l’homme le plus riche d’Israël.
Depuis 1978, sa nébuleuse minière BSGR prospectait déjà en Angola, au Botswana, en Namibie, en Sierra Leone et dans d’autres pays africains. Le faux-pas de Steinmetz est plus récent : en 2008, grâce à son contact en République de Guinée, le président de l’époque Lansana Conté, il avait obtenu deux blocs du plus grand gisement de fer non exploité du monde, pour la modique somme de 163 millions de dollars. Il a ensuite revendu la moitié du contrat d’exploitation à Vale pour 2,5 milliards de dollars.
Ce gain énorme lui a valu d’abord les foudres de Conakry, ensuite de la Suisse. Il a été arrêté en 2017 pour fraude, blanchiment d’argent et de nombreux autres chefs d’accusation. Grâce à l’intervention de Nicolas Sarkozy en 2019, les charges ont été abandonnées en Guinée. Le ministère public de Genève a cependant saisi le tribunal correctionnel plus tard la même année.
S’en est suivi un long feuilleton judiciaire qui opposa, au moins d’un point de vue procédural, le conglomérat de Steinmetz à George Soros. Le magnat israélien a été condamné début janvier 2021 par la cour genevoise à cinq ans de prison ferme pour des accusations de corruption entre 2006 et 2012. Il est devenu depuis persona non grata en Afrique, et son frère Daniel, à qui il avait revendu une bonne part de son empire, est actuellement ausculté pour son rôle dans les affaires familiales, ainsi que son implication dans l’affaire HSBC.
Un autre personnage qui suscite l’intérêt de la justice internationale pour son rôle malveillant en Afrique est le dirigeant de la société Sapna Limited, le Franco-Israélien d’origine marocaine Didier Sabag. Avec son implication directe dans plusieurs affaires plus ou moins légales, dont celle du logiciel espion Pegasus de NSO, il voit notamment les ONG et la société civile s’intéresser à son business.
A l’instar de Gérard Araud, Didier Sabag fait partie de ces intermédiaires des renseignements qui sont considérés intouchables, mais avec la mouvance africaine vers une rupture avec les manigances d’Israël sur le continent, ces personnes pourraient bien rapidement se retrouver dans l’œil du cyclone.