Le 8 juin 2025, le Rwanda a officiellement annoncé son retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC ou ECCAS), rompant de manière spectaculaire avec un bloc régional voulu pour promouvoir la coopération économique et sécuritaire en Afrique centrale.
Ce départ représente bien plus qu’un simple geste diplomatique : il fait écho à des tensions profondes, liées à l’offensive des rebelles du M23 en République démocratique du Congo (RDC), perçue par Kigali comme le fruit d’un instrumentalisation de la CEEAC.
Depuis plusieurs mois, la région est meurtrie par l’offensive des rebelles du M23 dans l’est de la RDC. L’organisation, selon l’ONU et les États-Unis, bénéficierait d’un soutien rwandais – une accusation que Kigali récuse fermement, arguant qu’il s’agit plutôt d’une défense contre des milices pro-Hutu liées au génocide de 1994.
Lors du 26ᵉ sommet ordinaire de la CEEAC tenu le 7 juin à Malabo, en Guinée équatoriale, la présidence tournante aurait dû revenir au Rwanda, comme le prévoirait l’article 6 du traité fondateur de l’organisation. Pourtant, face au refus du DRC et de plusieurs pays, celle-ci a été reconduite en faveur de la Guinée équatoriale. Nairobi y voit une « instrumentalisation » du bloc par Kinshasa, dont l’influence contestable a brisé les règles établies.
Le ministère des Affaires étrangères rwandais a dénoncé une « exclusion illégale » ainsi qu’une « violation des droits » garantis par le traité, remettant en cause la légitimité même de l’organisation. Le cabinet, réuni le 9 juin, a exprimé son « regret » et « indignation » face à une organisation qui, selon Kigali, dénature ses principes en cédant à la pression rampante de certains États, notamment la RDC.
Le Premier ministre Edouard Ngirente, soutenu par le cabinet, a exigé un respect égalitaire des droits des États membres et dénoncé « le rôle corrupteur de la RDC », accusée notamment de « financer la milice FDLR » et de mener des « incursions » à la frontière rwandaise. Kigali affirme également que la présidence prolongée n’est aucunement justifiée par la situation sécuritaire, car celle-ci préexistait à la prise de fonction de la RDC à la tête du bloc en février 2023 .
Bataille diplomatique
La CEEAC perd un membre clé, réputé pour son dynamisme économique, sa stabilité et ses capacités militaires. Initialement fondée en 1983 et composée de onze pays, la CEEAC voit l’un de ses piliers économiques s’éclipser, ce qui affaiblit notablement sa portée.
Kinshasa s’était opposée au leadership rwandais au sein de la CEEAC, après avoir accusé Kigali de soutenir le M23. La RDC a salué le retrait rwandais, estimant que la CEEAC « avait reconnu l’agression de la RDC » et ordonné le retrait des troupes rwandaises – une affirmation contestée par Kigali.
Le Rwanda réaffirme son engagement dans des mécanismes bilatéraux et internationaux. Parmi eux, les pourparlers médiés par les USA et le Qatar, ainsi que les canaux dirigés par l’Union africaine. Kigali entend continuer d’œuvrer à la paix via d’autres plateformes, quitte à délaisser la CEEAC .
La décision rwandaise expose au grand jour la fragilité de l’organisation, déjà mise à l’épreuve au début de l’offensive du M23. Parmi les obstacles notables : faiblesse des mécanismes de gouvernance et manque de cohésion face aux crises sécuritaires.
Le retrait de Kigali est susceptible de provoquer :
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Une réduction de l’efficacité économique régionale ;
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Une érosion de la crédibilité sécuritaire de la CEEAC face à des menaces transfrontalières ;
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Une possible essor de réseaux alternatifs dirigés par Kigali, moins formels mais potentiellement plus efficaces.
Pour le Rwanda, ce retrait est un message fort : l’organisation doit respecter ses principes fondateurs. Quand bien même les discussions entre Kinshasa et Kigali se poursuivent sous médiation internationale, il est peu probable que le pays revienne sans une réforme profonde de la CEEAC.