De l’ère des trois royaumes à la colonisation concessionnaire, l’indépendance du Congo-Brazzaville, le 15 août 1960, marqua le début d’un long et fastidieux processus vers la paix.
Avant que ne débute l’histoire coloniale du Congo-Brazzaville, ce territoire d’Afrique centrale était, jusqu’à la fondation de Nkuna — l’actuelle Brazzaville —, l’embouchure d’une terre libre, cachée des yeux du monde. En effet, l’actuelle République du Congo se trouvait entre trois royaumes, faisant de cette région une terre impénétrable et paisible. Au nord du pays tel qu’on le connaît aujourd’hui, plusieurs sociétés et chefferies — les Mboshi et les Makaa, entre autres — cohabitaient dans les différentes régions. Au sud, les Bantous du Kongo ont fondé leur royaume, trois siècles après celui de Loango. Avant que les Tio, au XVIIe siècle, ne fassent de la région un comptoir commercial.
A la fin du XIXe siècle, l’arrivée de Pierre Savorgnan de Brazza, l’explorateur franco-italien naturalisé français, a attiré l’attention de la marine française sur le Congo. Si le navigateur a créé Nkuna, l’armée française, elle, a fondé Pointe-Noire quatre ans plus tard. Les deux villes cosmopolites se disputèrent la concession des terres à l’est. Dans la mesure où l’autorité française prévalait à la fin du XIXe siècle, le point de départ de la colonisation du Congo, l’intégration à l’Afrique-Equatoriale française, eut lieu en 1885. Brazzaville devient alors la capitale de l’AEF. A l’époque, le Gabon faisait encore partie du Congo, avant d’en être séparé en 1904.
Le Congo français était d’ailleurs, grâce à Pointe-Noire, le carrefour de l’exportation des matières premières récoltées surtout au Gabon. Dès le début de la Première Guerre mondiale, les Congolais furent conscrits. Alors que le pays voyait ses fils devenir tirailleurs pour la puissance coloniale française, un premier sentiment anti-colonial émergea. De retour de la guerre, le syndicaliste André Matswa forma le premier mouvement d’opposition à l’occupant. « Mikalé » et ses compagnons voulaient, à l’époque, obtenir l’indépendance de façon pacifique. Malgré tout, avec Constant Balou, Pierre Kinzonzi, Pierre N’Ganga, Lucien Tchicaya ou encore Kangou, André Matswa était dans le viseur des autorités coloniales, qui l’arrêtèrent et l’emprisonnèrent.
La graine de l’indépendance
Profitant des conditions très dures de la colonisation, les années 1930 et 1940 furent pour André Matswa et ses compagnons deux décennies qui permirent de développer un certain nationalisme et un esprit contestataire chez les Congolais. Mais le syndicaliste meurt finalement en prison en 1942. Les membres de l’amicale sont tour à tour assassinés dans des conditions étranges, aux quatre coins du monde. Si elle n’est pas démontrée, l’implication de la France est évidente. Politiquement, un homme va défendre les couleurs de l’anti-colonialisme à l’Assemblée nationale française : le député Jean Félix-Tchicaya qui siègera dans l’Hémicycle pendant toute la IVe République française.
Avec son parti le PPC (Parti progressiste congolais), il est proche des communistes français. Mais Jean Félix-Tchicaya perd rapidement, avec des positions adoucies, son statut de chantre de l’anti-colonialisme. La victoire de Fulbert Youlou, fondateur de l’Union démocratique de défense des intérêts africains (UDDIA), aux élections municipales au Moyen-Congo, ainsi que la montée de Jacques Opangault, fondateur du Mouvement socialiste africain (MSA), placent Jean Félix-Tchicaya au second rang. Mais un homme va avoir un rôle primordial : Fulbert Youlou. L’Abbé Youlou, attaché aux mouvements panafricains, va devenir l’interlocuteur principal de l’administration coloniale.
A la suite des émeutes de 1958 et l’emprisonnement de Jacques Opangault, le MSA et le PPC s’allient à l’UDDIA. Les Congolais, lors d’un référendum sur la Communauté française, obtiennent l’autonomie du Congo. L’Abbé Fulbert Youlou devient Premier ministre en 1958. Le responsable politico-religieux utilisera l’emprisonnement de son prédécesseur, Jacques Opangault, pour mobiliser les Congolais. A la suite des affrontements meurtriers à Brazzaville, Opangault est finalement relâché et une élection organisée. Fulbert Youlou devient alors le premier président de la République du Congo le 21 novembre 1959.
La chute inéluctable de l’Abbé Youlou
Il fallut moins d’un an pour que Fulbert Youlou et le ministre du gouvernement français André Malraux signent l’indépendance du Congo, le 15 août 1960. Les contours du traité d’indépendance du Congo sont encore controversés : les historiens estiment, pour certains, que l’indépendance est le fruit d’un accord entre Charles de Gaulle et l’Abbé Fulbert Youlou, qui s’étaient entendus pour que ce dernier promeuve le libéralisme économique et puisse maintenir la pression sur le Congo belge de Lumumba. Rien ne dit que la présidence de Youlou participa à la chute de Lumumba, qui fut remplacé par Joseph Kasa-Vubu. Mais le rôle de l’Abbé dans les changement opérés chez le voisin congolais est indéniable.
De 1959 à 1963, le soutien apporté par les Congolais à Fulbert Youlou s’effrita aussi rapidement qu’il s’était opéré. Outre le fait d’avoir neutralisé l’influence de Jacques Opangault, dilué le message du héros Matswa et infiltré le seul mouvement communiste du pays — le PPC de Tchicaya, ce dernier étant mort en 1961 —, le premier président du Congo commença à être décrié par les populations locales. Dans le même temps, Fulber Youlou jouissait d’un grand soutien de la part de l’ancienne colonie française. Mais que reste-t-il du premier mandat de l’Abbé ? Un Etat absent, une tentative d’introduction du culte de la personnalité et un manque de légitimité flagrant. D’autant que l’histoire se répéta : les matswanistes furent à nouveau emprisonnés et la grogne des indépendantistes grimpa en flèche.
Et malgré de très importants dons financiers français, le Congo de Fulbert Youlou était miné par la corruption. Le pays s’appuyait exclusivement sur les exportations de manganèse et de diamants, qui ne couvraient alors que le tiers des recettes de l’Etat. Youlou chercha à faire construire un barrage électrique. Mais il ne réussit pas à attirer les investisseurs étrangers. Diplomatiquement, le soutien de l’Abbé à Salazar en Angola provoqua la méfiance de ses pairs africains. Débuta alors une fronde anti-Youlou, lancée par le MSA et les matswanistes qui demandèrent la libération des prisonniers politiques et le départ du président du pouvoir. Après trois jours d’émeutes sanglantes, du 13 au 15 août 1963, Youlou, qui avait demandé, en vain, de l’aide à la France, fut poussé à démissionner et s’exila en Espagne, où il finit sa vie.
Le Congo-Brazzaville, de la division à la guerre civile
Trop de leaders se positionnèrent pour succéder à Fulbert Youlou, de Stéphane Tchitchéllé à Dominique Nzalakanda, en passant par les chefs mystiques du matwanisme du « Congo profond » et les militaires. Tout comme la prise de pouvoir de Fulbert Youlou quelques années plus tôt, le contexte historique de sa succession par le technocrate Alphonse Massamba-Débat reste difficilement explicable à ce jour. Massamba-Débat était, certes, cadre au ministère de l’Education, le dernier chef du PPC et pendant un an, le président de l’Assemblée nationale. Toutefois, le dirigeant était de facto considéré comme l’homme de David Mountsaka et Félix Mouzabakani, les deux officiers militaires qui firent arrêter Fulbert Youlou après sa démission.
Quoi qu’il en soit, le Congo vit un premier Etat fonctionnel naître. Très influencé par le maoïsme des chefs syndicaux, qui devinrent les hauts responsables de l’administration, l’Etat congolais s’est alors industrialisé et a connu son premier Plan. Le gouvernement de Massamba-Débat fut pour le moins efficace : le Congo se développa rapidement et la scolarisation fut l’une des priorités des dirigeants. Mais le gouvernement était divisé politiquement et le président cherchait à s’affranchir du contrôle des militaires. En 1968, le Conseil national de la Révolution (CNR), composé de 40 membres, débarqua Alphonse Massamba-Débat — assassiné en 1977 — pour placer Marien Ngouabi. Mais le CNR fut lui aussi confronté à des divisions : deux fronts se formèrent.
Denis Sassou N’Guesso, actuel président congolais, était colonel de l’armée à la mort de Ngouabi. Il s’était toutefois positionné comme l’héritier légitime de son mouvement marxiste-léniniste, le Parti congolais du travail (PCT). Âgé de 34 ans, il tenta de se frayer un chemin sur la scène politique. Bien que le Conseil militaire du PCT (CMP) ait installé un gouvernement provisoire, avec Joachim Yhombi-Opango à sa tête — ce dernier était considéré comme proche de la France et de l’Occident —, lors des obsèques de Ngouabi, tous les officiers de l’armée savaient que le jeune Denis Sassou N’Guesso deviendrait rapidement l’homme fort du PCT et du pays. Sassou N’Guesso hérita en 1979 du PCT et devint, de fait, président pour la première fois. Héritier naturel de Ngouabi, « DSN » bénéficiait du soutien des régions du nord et du PCT à Brazzaville.
Denis Sassou N’Guesso, « faiseur de paix »
Denis Sassou N’Guesso se concentra alors sur l’économie du pays, qu’il tenta de faire décoller. Auréolé de plusieurs succès, le président est alors rapidement considéré comme l’homme providentiel. Il met en œuvre les premiers projets pétroliers du Congo, fait fructifier les recettes de l’Etat et travaille à l’aménagement de l’infrastructure. Jusqu’en 1986, « DSN » consolide le pouvoir de l’Etat civil, contrastant ainsi avec son image de jeune militaire politiquement inexpérimenté. Le Congo connait, à cette époque, une période de paix et d’unité nationale. Le Congo fait également son entrée sur la scène panafricaine, grâce notamment à la participation active de Denis Sassou N’Guesso dans la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et son amitié naissante avec Nelson Mandela.
Malgré une tentative de coup d’Etat avortée en 1987, et une charge diplomatique occidentale en 1990, menée notamment par le FMI, Sassou N’Guesso résiste à la chute du mur de Berlin et à la crise pétrolière de la fin des années 1980. Le président congolais autorise le multipartisme. Mais le retour de Pascal Lissouba et l’arrivée de Bernard Kolélas sur la scène politique provoquent des remous au sein de l’unité nationale retrouvée. Pascal Lissouba devient président en 1992 et met un coup d’arrêt aux projets de développement de l’Etat sous « DSN ». Surtout, la présidence de Lissouba donna lieu à des conflits politico-ethniques, causés par un militantisme ethnocentré au début des années 1990. Le pays commença à se disloquer.
L’armée se divisa en milices entre 1993 et 1995. La faction de Denis Sassou N’Guesso ne participa pas à la nouvelle guerre civile qui débutait. Mais « DSN » se retrouva isolé face aux milices de Lissouba et Yohombi-Opango. Le 24 octobre 1997, assisté par l’aviation angolaise et la diplomatie française, « DSN » mit fin à la guerre civile. Lissouba et les autres chefs de milices ayant fui à l’étranger, Sassou N’Guesso fut accueilli par les populations de Pointe-Noire et de Brazzaville comme un héros. Son premier chantier fut de revoir une constitution de 1992 imparfaite. En 2002, il est élu président de la République. Entre 1979 et 1992, il devient le « faiseur de paix » après une trop longue guerre civile. Après 2002, il décide de bâtir le Congo-Brazzaville actuel et de perpétuer l’héritage, trop souvent bafoué, d’André Matswa.