Après deux mois d’échanges diplomatiques hostiles, le Maroc et l’Algérie vont-ils se réconcilier ? Le roi Mohammed VI a en tout cas fait un premier pas en direction d’Alger.
Entre l’Etat algérien et le royaume marocain, les sources de tension ne manquent pas ces dernières semaines. Entre le dossier du Sahara occidental, toujours bloqué au niveau des Nations unies, le soutien du Maroc aux sécessionnistes kabyles, l’affaire d’espionnage Pegasus ou encore la fin de plusieurs partenariats économiques, l’ambiance entre les deux voisins n’est pas vraiment au beau fixe. Si bien que ces deux derniers mois, les diplomaties marocaine et algérienne ont multiplié les déclarations hostiles. Avec de nouveaux sujets de dispute, à l’instar de la cause palestinienne, de la crise libyenne ou même de la paternité du raï ou du couscous. C’est dans ce contexte pour le moins tendu que le roi marocain Mohammed VI a appelé à la raison et à l’apaisement.
Les Etats-Unis mettent la pression
Un revirement qui intervient deux jours après la fin de la tournée du secrétaire d’Etat américain adjoint, Joey Hood. Le diplomate s’est rendu en Algérie puis au Maroc, entre le 25 et le 28 juillet. Il s’est notamment entretenu avec Ramtane Lamamra, le nouveau ministre algérien des Affaires étrangères, puis avec son homologue marocain Nasser Bourita. Le département d’Etat américain a publié, la veille de la déclaration de Mohammed VI, à l’occasion de la Fête du Trône le 31 juillet, un communiqué dont certaines parties ont été reprises mot pour mot par le souverain marocain.
Outre les félicitations américaines pour le lancement du premier vol commercial entre Marrakech et Tel-Aviv, ainsi que pour « le soutien marocain aux efforts internationaux dans le désarmement en Libye », les Etats-Unis ont également dit au Maroc qu’ils étaient ravis du développement de la sous-région. La diplomatie américaine a cependant tenu à aborder le sujet du Sahara occidental. « Nous soutenons fortement les efforts des Nations unies dans la nomination d’un envoyé spécial au Sahara occidental au plus vite. Et nous appelons à la collaboration de toutes les parties pour soutenir cet émissaire », indique simplement l’ambassade américaine au Maroc, qui lance ainsi un pavé dans la mare.
Selon l’expert espagnol, spécialiste du Sahara occidental, Ruiz Miguel, « il y a clairement un pas en arrière des Etats-Unis » dans le dossier sahraoui. En décembre, les USA avaient reconnu la souveraineté marocaine sur la région. Or, comme l’indique l’expert, « le Maroc n’a pas respecté ses engagements publics » vis-à-vis d’Israël en dénonçant notamment les violences en mai dernier. Les Etats-Unis auraient donc, eux aussi, décidé de changer leur fusil d’épaule. Le Maroc, qui a mené une diplomatie hostile envers l’Algérie, l’Espagne et l’Allemagne, et qui connait des soucis avec la France, ainsi que plusieurs pays africains, est de plus en plus esseulé. Washington y voit un échec de Nasser Bourita. Le roi Mohammed VI chercherait-il à tenter de recoller les morceaux ? Il a en tout cas livré un discours d’apaisement après le passage de la diplomatie américaine au Maroc.
Entre le Maroc et l’Algérie, qui doit faire des concessions ?
Des relations plus apaisées entre Rabat et Alger seront importantes pour agir sur trois fronts. Tout d’abord, le Maroc est en lice pour soutenir le prochain occupant de Bab al-Azizia, en Libye. Or, la diplomatie marocaine n’a pas les atouts — la géographie, les accords pétroliers, l’amitié avec le Niger et la Tunisie, etc. — de l’Algérie dans le dossier libyen. En janvier, le royaume avait misé sur le mauvais camp, en apportant son soutien à Fathi Bechagha et Aguila Salah. L’Algérie, elle, a gardé une certaine distance avec tous les leaders libyens. Alger a bien avancé en nommant comme nouveau chef de la diplomatie Ramtane Lamamra, dont les relations avec la Libye, l’Egypte, le Soudan et le Niger sont, de par son passé à ce poste, solides.
Par ailleurs, les développements en Tunisie et la prise des pleins pouvoirs par le président Kaïs Saïed obligent les deux autres pays maghrébins à coopérer. On l’a vu avec la succession de visites de Lamamra et de Bourita à Tunis. Diplomatiquement, la Tunisie ne peut pas se permettre de prendre part aux différends algéro-marocains. Et dans le dossier libyen, le royaume chérifien et Alger ont besoin de Tunis, où les personnages libyens les plus influents — politiciens, diplomates et hommes d’affaires — sont présents.
Enfin, les tensions entre Alger et Rabat risquent de laisser une marque indélébile. Le royaume chérifien a annoncé son soutien au Mouvement d’autodétermination kabyle (MAK). En réaction, l’Algérie a rappelé son ambassadeur au Maroc. La décision marocaine a été mal perçue à Alger, qui a classé le MAK sur sa liste des organisations terroristes. On voit mal Alger accepter cette ingérence marocaine dans sa politique intérieure.
Le Maroc esseulé au Sahara occidental ?
Mais c’est bel et bien le dossier du Sahara occidental qui décidera de l’avenir des relation algéro-marocaines. Alger semble avoir pris un peu d’avance dans ce dossier. La reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental n’est possible qu’avec l’aide de puissances étrangères. Or, le soutien américain semble moins évident que sous Donald Trump. Et s’il ne fait pas de concessions, le royaume pourrait perdre l’avance prise en décembre dernier.
Les Accords d’Abraham, qui devaient permettre à Rabat de prendre le lead dans la région ont finalement eu l’effet inverse. Si Alger est restée ferme quant à sa position à propos de la cause palestinienne, le Maroc a tergiversé avant de condamner les violences israéliennes. Rabat a été considéré par Tel-Aviv et Washington comme faisant machine arrière. Et Israël, qui vient d’obtenir un siège d’observateur à l’Union africaine (UA) n’a pas vraiment eu besoin de son partenaire marocain pour cela.
Le roi Mohammed VI a donc tout intérêt à désamorcer les relations explosives avec son voisin algérien. Jusqu’à faire des concessions ? En matière de diplomatie, l’Algérie a cultivé des relations solides dans les sphères d’influence marocaines. Selon le souverain, « l’état actuel de ces relations ne nous satisfait guère car il ne sert en rien les intérêts respectifs de nos deux peuples. Il est même inacceptable que les frontières entre deux pays voisins demeurent fermées ». Un constat qui se transforme en demande : « Nous appelons à faire prévaloir la sagesse et les intérêts supérieurs de nos deux pays. Nous pourrons ainsi dépasser cette situation déplorable qui gâche les potentialités de nos deux pays. Au grand dam de nos deux peuples et des liens d’affection et de fraternité qui les unissent », poursuit Mohammed VI dans son discours.
Reste à savoir ce que sera prêt à faire le Maroc pour retrouver des relations sereines avec Alger. Revenir sur le soutien au MAK ? Admettre avoir utilisé Pegasus en Algérie ? S’intégrer aux efforts africains en Libye ? Pour le moment, difficile à dire. Rabat pourrait cependant, sous la pression américaine, accepter le prochain envoyé spécial des Nations unies au Sahara Occidental. Ce serait en tout cas le premier geste marocain en direction de l’Algérie.