Mouammar Kadhafi a régné plus de quatre décennies sur la Libye. Ancien dictateur, le « Guide de la révolution » est finalement devenu un allié des Occidentaux dans les années 2000.
« Ce type est siphonné. Avec lui, j’ai eu droit à un scandale par jour. Il nous a tout fait, c’était insupportable ». Lorsqu’il évoquait Mouammar Kadhafi à son homologue égyptien Hosni Moubarak, Nicolas Sarkozy n’était pas tendre. Le journaliste de L’Express, Vincent Hugeux, a consacré une biographie très fouillée au « Guide de la révolution » libyenne. Il raconte que, lors de la fameuse rencontre entre Kadhafi et Sarkozy à l’Elysée en 2007, le colonel avait fait un étonnant aveu à son hôte : « Mon frère Sarkozy, j’ai bien changé. J’ai commis beaucoup d’erreurs dans ma vie. J’ai été nationaliste, socialiste, terroriste, et je me rends compte que ces idéologies m’ont éloigné des intérêts de mon peuple. J’ai décidé d’en finir avec tout cela et de me tourner vers l’avenir ». Ironie de l’histoire, Kadhafi avait été invité par la France un jour de célébration des droits de l’homme.
Si, tel un pied de nez aux Occidentaux, il avait créé son propre « Prix Kadhafi des droits de l’homme » en 1988, récompensant tour à tout le Vénézuélien Hugo Chávez ou encore le Sud-Africain Nelson Mandela, Mouammar Kadhafi n’était pas vraiment un adepte des droits humains. Accusé de crimes de guerre, le leader libyen avait réussi à esquiver les demandes de visites du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Et ce pendant plus de quarante ans. En 1989, Amnesty International dénonçait alors « des arrestations de masse, des disparitions et la torture systématique ». Le régime Kadhafi n’a jamais été tendre. Le Guide de la révolution a réprimé ceux qu’il estimait être les « ennemis de la révolution ». Des universitaires, des étudiants et des journalistes, mais également des Frères musulmans ont ainsi subi les foudres du leader libyen, qui n’avait aucune pitié.
Un excentrique devenu ennemi public numéro 1
S’il fait indéniablement partie de la liste des tyrans que l’Afrique a connu, c’est surtout son excentricité qui a marqué les esprits. Ses interventions sonnaient tantôt comme des extravagances, tantôt comme des menaces. Comme lorsqu’il proposa, en 2009, de rayer la Suisse de la carte du monde. Dix ans plus tôt, il avait proposé à Bill Clinton de marier la fille du président américain et son fils pour resserrer les liens entre l’Amérique et la Libye. Et que dire du jour où il proposa de mettre fin au conflit israélo-palestinien en créant un Etat, fusion d’Israël et de la Palestine, qui s’appellerait « Isratine » ? C’est avec ce genre de propositions que Kadhafi espérait se refaire une image en Occident. Et si l’Europe et les Etats-Unis ont bel et bien fini par le considérer comme fréquentable, c’est parce que le colonel s’est peu à peu assagi. Au début des années, il avait laissé les inspecteurs internationaux démanteler son arsenal d’armes chimiques. Puis le pays avait fini par admettre sa responsabilité dans l’attentat de Lockerbie.
On est loin de l’image que Kadhafi avait dans les années 1970 et 1980. Qualifié de « chien fou du Moyen-Orient » par l’ancien pensionnaire de la Maison-Blanche, Ronald Reagan, le « Guide de la révolution » était, à l’époque, l’ennemi public numéro 1 d’une bonne partie de la planète qui l’accusait de financer le terrorisme mondial sous couvert de révolutions. Grâce à des moyens financiers colossaux, Kadhafi avait réussi à placer une épée de Damoclès sur de nombreux présidents occidentaux. Kidnappings d’étrangers, financements de groupes armés, attentats de Lockerbie ou encore au Niger avec une bombe placée à bord d’un DC-10 français d’UTA… Kadhafi avait de quoi faire trembler l’Occident. En 2011, sachant sa fin proche, le leader libyen avait promis de « transformer la Méditerranée en champ de bataille ».
Kadhafi, de l’Axe du mal à celui du bien
Huit ans plus tôt, Kadhafi était pourtant rentré dans les rangs. En septembre 2003, l’embargo imposé par le Conseil de sécurité à la Libye avait été définitivement levé. Une normalisation marquée par la chute du prix du baril de pétrole, qui avait fragilisé la Libye. Les sanctions internationales coûtaient cher à Kadhafi, qui a donc fait des efforts pour redresser l’économie de son pays. Surtout, alors que les Américains étaient en guerre contre l’Irak, le colonel avait préféré figurer dans l’Axe du bien plutôt que dans celui du mal. Devenu médiateur dans la lutte contre le terrorisme, Kadhafi avait chargé son fils Saïf al-Islam de donner une meilleure image du pays à l’international. En mettant en avant son fils, le « Guide de la révolution » montrait également sa volonté de préparer sa succession.
Dix ans après sa mort, Kadhafi reste un mythe en Afrique, notamment grâce à ses idéaux : le panafricanisme, la démocratie directe ou encore le redistribution des richesses. Tentant de marcher sur les traces de son idole, l’Égyptien Nasser, Kadhafi s’était aussi érigé en chantre de l’anticolonialisme. On retiendra aussi de l’homme son amour pour les femmes — en particulier pour l’ex-secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice —, sa folie et sa mégalomanie. Il assurait ainsi être « la seule solution pour l’humanité » et s’était autoproclamé « roi des rois traditionnels d’Afrique ». Surtout, Kadhafi a réussi l’incroyable exploit de passer du statut de président terroriste à celui de leader fréquentable auprès de la communauté internationale. Et de financier des groupes armés à principal partenaire dans la lutte antiterroriste.