Malgré le retard pris par la Zlecaf, le traité a déjà été ratifié par une quarantaine de pays africains. Les économistes y voient une possible rupture avec un modèle économique hérité de la colonisation.
Les économistes sont unanimes : la Zlecaf sera un outil panafricain par excellence. A condition que le traité, censé instaurer la plus vaste zone de libre-échange au monde, donne lieu à de véritables mesures économiques et à une diminution des relations déséquilibrées entre les Etats africains et les anciennes puissances coloniales. Prévue à l’été 2020, la Zlecaf est entrée officiellement en vigueur le 1er janvier dernier. Et avec l’espoir de réunir les 55 pays africains à terme — une quarantaine de pays ont pour l’instant ratifié le traité —, la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) doit permettre de rompre avec un modèle économique hérité de la colonisation et qui n’a jamais permis à l’Afrique de s’émanciper, avec notamment une revue à la baisse, voire une suppression des droits de douane entre Etats africains.
Cette possible rupture avec l’époque coloniale, c’est en tout cas l’objectif partage par l’ex-directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) Pascal Lamy qui, interrogé par La Tribune, estime que « la faible part du continent africain dans le commerce international n’est pas d’abord la conséquence des règles du commerce mondial, mais celle d’un certain nombre d’éléments comme la partition coloniale de l’Afrique en une cinquantaine de pays, ou la taille relativement réduite, des économies africaines ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes : « Héritage de l’époque coloniale, les pays d’Afrique exportent essentiellement des matières premières brutes vers l’Europe ou l’Asie mais échangent peu entre eux. En effet, seulement 16 % du commerce des États africains se fait dans le continent », résume Thomas Yapo, analyste économique ivoirien. La Zlecaf est donc, poursuit-il, « le premier pas vers une union économique dont les théoriciens du panafricanisme rêvent depuis des décennies ». Bien plus qu’un outil économique, la Zlecaf serait donc le symbole de cette future autonomie africaine ?
« La véritable intégration économique passera par la suppression des frontières »
L’héritage colonial, dans l’économie africaine, on le retrouve avec ce que Pascal Lamy appelle « l’escalade tarifaire, avec des droits de douane plus élevés sur les produits transformés comme le chocolat, que sur la matière première ». Or, en théorie, si les pays africains augmentaient leurs échanges commerciaux, les profits seraient quasi immédiats : créations d’emplois et amélioration du niveau de vie des populations sur tout le continent. Un rapport de l’Agence de développement de l’Union africaine démontre que « l’intégration et la croissance économiques africaines ont été confrontées à des modèles historiques d’exploitation coloniale qui ont façonné une infrastructure conçue pour tirer des ressources, mais pas pour développer une capacité économique interne et diversifiée ».
La Zlecaf serait donc la solution à tous les maux et la fin annoncée, soixante ans après les décolonisations africaines, d’un système archaïque qui profite plus à l’Occident qu’à l’Afrique. La zone de libre-échange « est la meilleure manière de sortir de ce que le colonialisme a légué de pire à l’Afrique : un kaléidoscope de pays. Le pire héritage colonial, ce sont les frontières ! C’est d’ailleurs un paradoxe historique que la décolonisation politique se soit faite au nom de ces frontières et avec ces frontières, et que la décolonisation économique passe par leur effacement, s’étonne Pascal Lamy. Nous avons inculqué le nationalisme politique et économique à ce continent et il faut en sortir pour entrer dans la globalisation. A terme, la véritable intégration économique et commerciale devra passer par la suppression des frontières ».
Reste à savoir si la Zlecaf donnera les effets escomptés et si, dans la pratique, ce traité permettra à l’Afrique de s’émanciper des anciennes colonies. « C’est un pas en avant, au moins la vision a du charme, admet l’économiste Camerounais Yamb N’Timba. Maintenant il faut que cela devienne opératoire à travers un encadrement qui se fera via un mécanisme politique dont le stade ultime devrait être la constitution des Etats-Unis d’Afrique ». « La Zlecaf ne sera couronnée de succès que si ses pays membres intègrent la stratégie régionale dans leurs politiques nationales et prennent des mesures proactives face aux risques de tensions entre ces deux niveaux », poursuivent les économistes Woubet Kassa et Albert Zufack. Il y a donc encore beaucoup de questions autour de la Zlecaf. Enormément d’espoirs aussi. Si les négociations sont bien menées, la Zone de libre-échange continentale africaine peut en tout cas être le début d’une nouvelle ère.