Dans une sortie attendue, ce jeudi 17 février, la France, ses alliés européens formant Takuba, ainsi que le Canada ont déclaré conjointement le retrait de leurs forces du Mali.
« En raison des multiples obstructions des autorités de transition maliennes, le Canada et les Etats européens opérant aux côtés de l’opération Barkhane et au sein de la task force Takuba estiment que les conditions ne sont plus réunies pour poursuivre efficacement leur engagement militaire actuel au Mali et ont donc décidé d’entamer le retrait coordonné du territoire malien de leurs moyens militaires respectifs dédiés à ces opérations ».
Dans une déclaration conjointe, Emmanuel Macron et Charles Michel, respectivement président de la République française et chef du Conseil européen, nuancent leur départ du Mali en disant vouloir « rester engagés au Sahel », voire « étendre leur soutien aux pays voisins ». Le redéploiement des forces occidentales hors du Mali devrait prendre entre quatre et six mois.
Une décision attendue, à un moment où les relations entre le Mali et la France — ainsi que ses alliés militaires — ne cessent de se dégrader. Dans les médias français, l’heure est au bilan de Barkhane. Les tribunes se multiplient, affirmant que ce fameux bilan reste « très discutable » ou encore tentant d’expliquer « les facteurs de l’échec » de l’opération française.
« L’armée française peut jouer au pompier mais pas à la police »
Selon les analystes français, plusieurs facteurs expliquent un tel échec. Parmi lesquels le faible niveau des troupes déployées, l’absence d’un réel objectif militaire — à l’exception de la succession de frappes, réussies ou ayant échoué, contre des commandants de groupes terroristes —, mais également les différends entre Paris et Bamako ainsi que la défiance croissante des citoyens du Sahel à l’égard des opérations françaises.
Pour l’historien français Michel Goya, « dans l’euphorie, nous (la France, ndlr) sommes retombés dans nos travers. L’armée française peut jouer au pompier mais pas à la police ». L’ancien militaire impute l’échec français au Mali à la « naïveté » de la France, et à l’inefficacité des troupes entraînées par les forces françaises. Il considère, par ailleurs, le Mali comme « une version à très grande échelle du bar des contrebandiers de Star Wars ».
Un discours qui montre à quel point la France quitte le Mali sans aucune compréhension réelle de son échec. A l’exception d’une liste de terroristes tués, le bilan reste bien maigre.
Le Mali, entre optimisme et espoirs
Mais alors que les forces occidentales quittent le Mali, les autorités maliennes restent confrontées à de nouveaux défis. Entre les difficultés pour payer les fonctionnaires – alors que le pays subit l’embargo de la Cedeao –, la réorientation de la transition vers un régime civil et les menaces sécuritaires, Bamako doit composer avec ses propres soucis.
Certains, comme le président ivoirien Alassane Ouattara, surnommé « président Françafrique », estiment que le départ français du Mali « créera un vide ». Pour les populations locales, il y a un mélange d’euphorie et d’espoir. Néanmoins, pour Assimi Goïta, qui a entamé la réforme politique du Mali en proposant un amendement de la « charte de la transition », son engagement qui prévoit la sécurisation du pays avant d’organiser des élections tient toujours.
Sur ce plan, le chef de l’Etat malien bénéficie encore d’un large consensus entre les factions politiques. Dernier en date, l’Azawad, qui a convenu de « rentrer dans le rang » après les pourparlers avec le ministre de la Réconciliation nationale Ismaël Wagué, facilités par l’Algérie et conclus à Rome.
De plus, même si le gouvernement malien le nie, la présence des paramilitaires russes du groupe Wagner au Mali est semble-t-il une réalité. La confirmer pourrait, diplomatiquement, être une source d’embarras à la fois pour la Russie et pour le Mali. Mais toujours est-il que, militairement, Wagner a déjà fait ses preuves, surtout sur le terrain centrafricain.
Barkhane, si tu es là, manifeste-toi
Pour la France, le retrait de Barkhane et l’effritement de Takuba, la force européenne qui devait prendre la relève dans le nord malien, peu de leçons ont été tirées.
L’intervention antiterroriste française avait commencé lors d’une mission express, baptisée Serval, pour renverser le proto-Etat terroriste dans la partie nord du pays en 2013. Une sorte d’opération de rachat après l’intervention française en Libye décidée unilatéralement. D’ailleurs, l’ex-président français François Hollande avait tout de même pris la peine de consulter des chefs d’Etat africains avant d’envoyer ses troupes au Mali.
Le départ de Serval a permis de sécuriser Bamako, puis de reprendre Gao, le Kidal et Tombouctou en janvier 2013. Toutefois, la mort de civils, bombardés par les troupes françaises, a jeté l’opprobre sur les militaires français. Des « bavures » confirmées par Amnesty international, puis par l’ONU. Une première déception.
Deuxième déconvenue de Serval : après l’annonce française de la fin de l’opération en 2014, ce sera Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, qui annoncera l’envoi d’une mission française permanente, Barkhane.
Lire : Le Mali face au chantage, ces choses que la France peine à comprendre
Rétrospectivement, on retiendra que Le Drian s’est, à la fois, imposé en fer de lance de l’intervention militaire française au Mali, mais qu’il a également — cette fois en tant que diplomate — été à l’origine des récentes tensions entre Paris et Bamako, avec ses déclarations pour le moins hostiles.
Et si la France tirait des conclusions, par exemple, des échecs américains en Irak et en Afghanistan ? Bien que Paris ait, sans cesse, attribué la responsabilité au pays hôte du déploiement militaire occidental, les Maliens voient aujourd’hui le départ français comme une « décolonisation ». Justement parce que les populations locales percevaient Barkhane comme une armée d’occupation étrangère.
Pour le professeur américain en sciences politiques Alex Thurston, « il est tout aussi important pour la France de réaliser que son opération était mal structurée. Les campagnes militaires antiterroristes qui ciblent les dirigeants des groupes armés sans s’attaquer aux facteurs qui motivent le recrutement des djihadistes sont vouées à l’échec ».
Pour le spécialiste, la France aurait ignoré le conflit du pastoralisme dans le centre malien, la colère des civils due à l’absence de développement du pays ou encore la corruption au sein de « l’élite locale oligarchique »… autant de raisons qui ont favorisé la recrudescence du terrorisme au Mali, auxquelles les solutions les plus efficaces n’ont jamais été militaires.