Le Parlement français va voter un texte de loi qui permettra de restituer l’argent des bien mal-acquis aux pays spoliés, via une aide au développement.
C’était sans aucun doute l’une des hérésies du système français : lorsque des biens mobiliers ou immobiliers avaient été acquis par des gouvernants qui détournaient des fonds publics de leur pays, la France ne pouvait rapatrier les fonds. L’argent des biens mal acquis était alors incorporé au budget général de… l’Etat français. En mai 2019, le sénat français avait envisagé de changer la loi, pour que les pays spoliés puissent en profiter en lieu et place du Trésor français. « Il ne devrait pas y avoir de sanctuaire pour ceux qui volent les pauvres », un an plus tôt, le président de la Banque mondiale Robert Zoellick. Il aura fallu près de deux ans pour qu’enfin des mesures soient prises au pays des droits de l’Homme.
Le projet de loi « de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales » a en effet été examiné en première lecture à l’Assemblée nationale ces derniers jours. Les députés français sont unanimes : l’argent des biens mal acquis doit retourner dans les pays spoliés et non rester en France. C’est l’objet d’un amendement proposé par le député de la 9e circonscription des Français établis hors de France, M’jid El Guerrab. L’élu a proposé que les fonds découlant de la vente des biens mal acquis soient restituées aux populations de pays concernés.
Adoption de notre amendement à l’unanimité sur la restitution des biens mal acquis !
Un grand moment d’émotion. La juste cause portée par les sociétés civiles africaines trouvent une issue !
De part et d’autre de la Méditerranée, les nouvelles générations tournent la page… pic.twitter.com/0ZY0JZN8JF— M’jid El GUERRAB (@mjidelguerrab) February 19, 2021
Rendre aux populations africaines
Pour ce faire, le député propose que la valeur des biens saisis par la justice française soit reversée aux populations sous forme d’aide au développement. L’amendement proposé par M’jid El Guerrab remet les pendules à l’heure : la France est signataire de la Convention des Nations unies contre la corruption, un texte qui demande aux Etats de permettre la restitution d’avoirs illicites aux Etats spoliés. Si la loi est adoptée, elle sera un premier pas important, mais la France veut continuer à garder la main sur la façon dont seront utilisés les fonds. « Chaque année, on pourra regarder action par action l’usage de ces fonds », indique Hervé Berville, le rapporteur du projet de loi.
Certains députés estiment que la loi est d’ailleurs hybride et réclame un texte plus fort. Le CCFD, qui dénonce « les complaisances occidentales » vis-à-vis des dictateurs, rappelle que la France « n’a procédé à aucune mesure de restitution », à la différence de la Suisse ou des Etats-Unis. L’ONG estime que, « au niveau quantitatif, les avoirs détournés par des dictateurs au cours des dernières décennies représentent, au bas mot, entre 100 et 180 milliards de dollars ». De plus, continue le CCFD, « le pillage des richesses des pays du Sud s’est opéré avec la complicité ou à l’initiative des gouvernements et des entreprises du Nord ».
Une loi conçue pour l’Afrique
Il faut donc que les fonds restitués ne suivent pas le même chemin : l’association Sherpa a lancé de nombreuses procédures judiciaires concernant les biens mal acquis. Son fondateur, l’avocat William Bourdon, estime que « le risque que l’argent retourne dans des mains corrompues via de fausses ONG qui font florès dans certains pays est réel ». Pour lui, « la restitution des biens mal acquis nécessite une sécurité juridique absolue ». Les discussions vont se poursuivre, notamment au sénat, avant une application de la loi prévue dès cette année, l’affaire des biens mal acquis du clan Obiang, confisqués par la justice française, étant actuellement portée devant les tribunaux français.
Plus qu’un texte écrit sur mesure pour les biens mal acquis de la famille du président de Guinée équatoriale, ce texte vise surtout les pays d’Afrique. Comment comprendre le message envoyé par la justice française, qui estime que l’achat d’un immeuble parisien pour 25 millions d’euros par Teodoro Nguema Obiang Mangue est plus répréhensible que l’acquisition, à quelques kilomètres de là, par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane d’un château estimé à 275 millions d’euros ? L’Arabie saoudite compterait 6 millions de personnes pauvres. La future loi sur les biens mal acquis risque bien de ne pas toucher les émirats, qui mélangent aisément argent public et privé, mais seulement les anciens alliés africains de la France.