Plus d’un an après l’engagement de la France et de ses partenaires de l’UEMOA à reformer leur coopération monétaire, plusieurs sénateurs français se demandent pourquoi Paris semble vouloir décider seule de cette réforme
En mai 2020, la France entérinait officiellement la fin du franc CFA. Au revoir le CFA, bonjour l’ECO. Le ministre français des Affaires étrangères expliquait alors devant la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale que « le rôle de la France évolue pour devenir celui d’un strict garant financier de la zone ». La porte-parole du gouvernement de l’époque, Sibeth Ndiaye, ajoutait que « cette fin symbolique devait s’inscrire dans un renouvellement de la relation entre la France et l’Afrique et écrire une nouvelle page de notre histoire ». Symbolique. Le mot était lâché. Car pour de nombreux observateurs, le passage du CFA à l’ECO n’est qu’un simple ravalement de façade d’une pratique digne de la Françafrique. Qu’en est-il vraiment ?
Pour bien comprendre les enjeux de la monnaie unique ouest-africaine, il faut d’abord remonter aux origines du franc CFA, à son mécanisme de fonctionnement… et à sa signification initiale. Car avant d’être le franc de la Communauté financière.
africaine, le CFA désignait les Colonies françaises d’Afrique. Pour pouvoir utiliser le franc CFA, chacun des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) doit déposer la moitié de ses réserves de change sur le compte du Trésor français. C’est d’ailleurs dans l’Hexagone que sont imprimés les billets de francs CFA. Une façon pour Paris de garder la mainmise sur la politique monétaire de la sous-région ouest-africaine, la Banque de France reversant tous les ans les intérêts obligataires de leurs réserves aux pays membres de la zone CFA et la France pouvant décider unilatéralement du franc CFA.
Le franc CFA, un frein au développement de l’Afrique
D’aucuns voient en le franc CFA une sorte d’« impôt colonial ». Il est en réalité un dépôt, mais son système n’en demeure pas moins contestable. Pour l’économiste Kako Nubukpo, ancien ministre togolais de la Prospective, le franc CFA est un frein au développement de l’Afrique de l’Ouest. « La monnaie doit être au service de la croissance et du développement. Pour cela, il faut des crédits. Or le ratio crédit à l’économie sur PIB dans les pays de la zone franc est de 23 % quand il est de plus de 100 % dans la zone euro », expliquait-il au Monde en 2015. Avant d’ajouter qu’il « est quasiment impossible pour nos pays de rattraper les économies émergentes si le franc CFA reste arrimé à l’euro ». Et l’ancien ministre togolais de rappeler que « la question de la souveraineté qui sous-tend ce débat est plus que légitime ».
La création de l’ECO sera-t-elle donc une réponse à ce besoin de l’Afrique de retrouver sa souveraineté monétaire ? Pas vraiment, à en croire certains sénateurs français, étonnés que la France décide de façon unilatérale de réformer la coopération monétaire entre Paris et plusieurs pays africains. Pour Pascal Savoldelli, sénateur du Val-de-Marne, « la réforme du système monétaire en discussion au Parlement français concerne en premier lieu (…) les pays de l’UMOA et leurs 130 millions d’habitants ». Or, poursuivait le parlementaire dans une intervention le 28 janvier, « comme lors des négociations concernant le franc CFA au moment du passage à l’euro, les pays africains n’ont à aucun moment été véritablement associés ».
La BCEAO, bientôt seule gestionnaire de ses réserves de changes ?
La France reproduirait donc les mêmes erreurs qu’avec le franc CFA ? Le sénateur communiste insiste sur ce sujet : « Il y a urgence dans cette zone à changer de paradigme en matière monétaire. En effet, le bilan de cet instrument monétaire colonial, puis néocolonial n’est pas brillant, même si le franc CFA n’est pas la seule cause de cette situation ». Ce que tente de nuancer Kako Nubukpo. « Nous devons d’abord définir le modèle de société que nous voulons construire. Cela permettrait de dépassionner le sujet. A quoi cela rime-t-il de bomber le torse en prétendant avoir une nouvelle monnaie que nous serons incapables de gérer ? », demandait-il, il y a cinq ans.
Avant de revenir sur le fait que, six décennies après les indépendances, « il est inconcevable que (…) les pays de la zone franc continuent d’avoir une monnaie physiquement fabriquée en France, d’avoir leurs réserves de change déposées auprès du Trésor public français ». Début 2020, l’agence de notation américaine Standard & Poor’s indiquait dans une étude que « les États membres de l’UEMOA ne seront plus tenus de conserver la moitié de leurs réserves de change sur un compte d’opération au Trésor français. Autrement dit, la banque centrale régionale, la BCEAO, pourra gérer ses réserves de changes comme bon lui semblera ». Et c’est sans doute là un premier pas vers la décolonisation monétaire de l’Afrique de l’Ouest…