Omniprésente en Afrique, la Turquie s’impose de plus en plus dans un rôle politique en Afrique. Le président Erdoğan s’attaque désormais à la résolution du conflit qui oppose le Kenya à la Somalie.
En 2005, le gouvernement turc décrétait « l’année de l’Afrique ». La Turquie avait, cette année-là, obtenu le statut d’observateur à l’Union Africaine. Depuis, Ankara ne cesse d’intensifier ses échanges, aussi bien commerciaux que diplomatiques, avec l’Afrique. Là où la Turquie ne disposait que d’une douzaine d’ambassades sur le continent, on en compte aujourd’hui 46. Côté commerce, en vingt ans, les exportations turques vers l’Afrique sont passées de 5 à 16 milliards de dollars, avec une part importante pour l’agriculture et l’agroalimentaire.
Après la Libye, la Turquie veut jouer un rôle dans la Corne
Depuis plusieurs mois, la Turquie prend une place plus stratégique encore en Afrique. En Libye, dix mois avant la signature du couvre-feu, Ankara avait envoyé en Libye des forces pour épauler le Gouvernement d’entente nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj. « Sans la Turquie, la Libye aurait plongé dans le chaos », déclarait en décembre dernier le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavusoglu. Dans le pays d’Afrique du Nord, Ankara s’est aussi posé en médiateur, soulignant « qu’il ne pouvait y avoir de solution militaire au conflit libyen et que la seule issue était politique ».
Partout où l’on parle de médiation en Afrique, on retrouve forcément la Turquie et son président, Recep Tayyip Erdoğan. C’est le cas au Kenya et en Somalie. Nairobi et Mogadiscio sont en conflit à propos de la délimitation de leurs frontières maritimes. Là encore, la Turquie veut avoir un rôle à jouer. Selon Africa Intelligence, le ministre Mevlüt Çavusoglu voyagera début mars au Kenya, puis en Somalie. Des rencontres sont prévues avec les dirigeants des deux pays, à quelques jours d’une audience cruciale devant la Cour internationale de justice (CIJ), qui doit délimiter une fois pour toutes la frontière maritime entre les deux Etats.
Des intérêts turcs au Kenya et en Somalie
Au centre de la bataille, les hydrocarbures. En février 2019, la Somalie avait annoncé vouloir mettre aux enchères plusieurs gisements pétrolifères et gaziers. Problème : le Kenya estimait que certains de ces gisements étaient situés dans sa zone maritime. Depuis 2014, Nairobi et Mogadiscio se disputent ce lopin de mer de quelques milliers de kilomètres carrés situé à 180 kilomètres au large de la frontière entre le Kenya et la Somalie. Plusieurs pays et organisations ont tenté de jouer les médiateurs… sans succès. Déjà omniprésent en Afrique de l’Ouest, Erdoğan espère bien place la diplomatie turque au centre des discussions.
Il faut dire que les intérêts sont nombreux, dans la Corne de l’Afrique et en Afrique de l’Est, pour la Turquie, qui dispose notamment d’une base militaire en Somalie. Ankara doit également fournir des équipements au Kenya, qui a passé commande de 170 blindés. Sans oublier les intérêts économiques de la Turquie, qui gère notamment le port de Mogadiscio. Erdoğan a tout intérêt à ce que le conflit entre les deux pays ne s’envenime pas. Cette bataille juridique entre Kenya et Somalie est également l’occasion de montrer au monde entier que la Turquie peut jouer un grand rôle de médiation sur le continent.