Le président de la RDC, Félix Tshisekedi, avait signé un ordre exécutif déclarant l’état de siège. L’armée prendra donc le contrôle d’Ituri et du Nord-Kivu à partir de demain, remplaçant le gouvernement civil.
Les deux provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu seront à partir du 6 mai légalement accessibles aux forces armées. Aucune ordonnance similaire n’a été signée en République démocratique du Congo (RDC) depuis des années. Les gouvernements provinciaux seront remplacés par des officiers des Forces armées, selon le porte-parole du président Tshisekedi.
Pourtant, Félix Tshisekedi avait annoncé une collaboration entre civils et les militaires dans l’opération en cours. Dans son discours, le président a déclaré : « J’invite chaque Congolaise et chaque Congolais à une mobilisation totale pour faire front avec nos forces armées déployées. Pour sécuriser notre territoire », a-t-il annoncé.
Donc, il semble que l’état de siège sera commandé par l’Armée. Il aura une durée de 30 jours renouvelable jusqu’à l’atteinte des objectifs. Hier, le porte-parole du président, Tharsice Mwema, a précisé : « Les juridictions civiles seront substituées par les juridictions militaires », a-t-il affirmé. Aucun doute ne subsiste donc. L’Ituri et le Nord-Kivu seront à partir de jeudi deux zones militaires.
Entre Daech et Daech, la sémantique des médias
Le lendemain de l’annonce de Tshisekedi, un personnage important a été assassiné dans l’Est de la RDC. En effet, Cheikh Ali Amin, le président de la communauté musulmane du Nord-Kivu, a été assassiné dans la nuit du samedi. Le meurtre a eu lieu à l’intérieur de la mosquée de Ruwenzori, en pleine prière. Bien que les tueurs n’étaient pas identifiables, les témoins en auraient reconnu un. Il s’agirait d’un insurgé des Forces Démocratiques Alliées (ADF), l’une des deux milices majeures du Nord-Kivu.
Toutefois, l’imam Amin a refusé la protection de l’armée lorsque les autorités l’avaient proposée. Plusieurs médias Occidentaux, dont la BBC, accusent cependant Daech de l’assassinat. Ils font allusion à la classification récente de l’ADF comme organisation terroriste pour ses liens présumés avec l’Etat Islamique. Néanmoins, d’autres médias financés par l’Etat britannique, dont BBC World service, avaient dans le passé dit que l’imam Amin était un représentant de Daech au Nord-Kivu. Cette accusation datait de 2017, après que Musa Baluku a pris le contrôle de l’ADF.
Donc, si on en croit ces médias, l’Etat Islamique aurait tué son propre représentant. Une conclusion improbable, qui soulève à nouveau la problématique de la classification de l’ADF en tant qu’affilié de Daech. Néanmoins, les militaires qui seront déployés dans la région demain auront pour mission de tuer à vue les combattants de Baluku. Son groupe, l’ADF, ainsi que les autres milices des régions de l’Est, n’ont toujours pas réagi à l’annonce du gouvernement.
Remplacer le gouvernement civil, une bonne idée ?
Les deux provinces visées par l’opération militaire en RDC comptent des dizaines de groupes armés. Les massacres de civils sont fréquents. Mais dans les grandes villes, les autorités civiles ont jusque là maintenu la paix. D’ailleurs, plusieurs étrangers vivent dans les chefs-lieux des provinces, et les forces de l’ordre ainsi que les Casques bleus sont bien établis. Par conséquent, le fait que le déploiement militaire commence par la substitution du gouvernement provincial est une décision curieuse.
Des mines de cobalt, de diamant, d’or et d’autres ressources se trouvent le long des rives du Kivu. Les milices supervisent l’exploitation des minéraux sur les frontières ougandaise, burundaise et rwandaise. Cependant, les investisseurs et transporteurs sont majoritairement des sociétés congolaises ou étrangères. Trois gisements sont exploités par les entreprises de l’ex-président Joseph Kabila. D’autres sont sous le contrôle du groupe italien Trevi, de la coopérative Masisi, de Cooperamma, de Dan Gertler, etc.
Bien que la région soit si dangereuse que le gouvernement y déploie l’armée, le commerce des minéraux ne s’est jamais arrêté. Le président Tshisekedi devra donc garantir la continuité de l’exploitation minière pendant l’opération militaire. Autrement, la pression des lobbys des groupes miniers s’en suivra. Actuellement, l’Union européenne surveille de près le gouvernement de la RDC. L’essor de l’état de siège en RDC déterminera le futur de la présence de Total au Congo. Le début de la construction de l’oléoduc EACOP dépendra aussi des mouvements de l’ADF. Si la milice décide d’émigrer en Ouganda, l’état de siège de Tshisekedi pourrait devenir une affaire internationale. Ou une crise diplomatique, ce serait une question de perspective.