Un ancien militaire, qui fait partie des accusés dans le procès sur l’assassinat de Thomas Sankara, a admis son rôle dans la mort du héros. Ce procès apportera-t-il des réponses, 34 ans après la mort de l’ancien leader du Burkina Faso ?
Yamba Elise Ilboudo, poursuivi pour « complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat » dans le dossier de Thomas Sankara et ses douze compagnons tués le 15 octobre 1987, a admis sa complicité, ce mardi 26 octobre. Ilboudo, ancien agent de sécurité et chauffeur au service de Blaise Compaoré, a toutefois nié avoir lui-même tiré sur quiconque ou participé à la préparation du coup d’Etat. Mais son témoignage permet de savoir que le commandant Haycinthe Kafando, chef de la garde rapprochée de Blaise Compaoré, est lui aussi impliqué. Les aveux de Yamba Elise Ilboudo accusent également Pathé Maïga, un autre proche de Compaoré, ainsi que d’autres commandos : Idrissa Sawadogo, Nabonsseouindé Ouédraogo, Arzouma Ouédraogo, Ousséni Nébié et un certain « Sinaré ».
Mais la justice manque encore aujourd’hui d’éléments. L’accusé Ilboudo, qui conduisait l’une des voitures transportant les assassins de Sankara en 1987, a préféré garder le silence, évitant de répondre à certaines questions du juge. Une attitude qui a agacé le parquet militaire, d’autant que son récit des faits contient plusieurs contradictions avec un de ses précédents interrogatoires. Notamment, sur la question de la présence du général — lieutenant au moment des faits — Gilbert Diendéré, au siège du Conseil de l’Entente à l’époque. Pour rappel, Diendéré était chargé de la sécurité de l’édifice. Et si les hommes de Haycinthe Kafando — et supposément de son chef Blaise Compaoré — n’avaient rencontré aucune résistance, c’est grâce à Diendéré, qui avait trahi Sankara.
A quand une inculpation formelle de Blaise Compaoré ?
Au début de l’audience, le tribunal a écouté des fichiers audio datant de l’assassinat de Sankara. On y entend Blaise Compaoré justifier le complot par des « divergences fondamentales sur des questions opérationnelles du processus révolutionnaire ». Dans les mêmes enregistrements, Compaoré traitait Sankara de « traitre à la révolution qui menait un pouvoir autocratique ».
Certes, le procès vise avant tout à dénoncer ceux qui avaient trahi Sankara, dont l’ancien président Blaise Compaoré, aujourd’hui réfugié en Côte d’Ivoire, et Gilbert Diendéré. Car si les exécutants, qui se suivront à la barre pendant les prochains jours, sont coupables depuis l’instruction, les preuves tangibles manquent pour condamner Compaoré et Diendéré.
Les dossiers de trois agences de renseignement occidentales, dont la CIA, ont également fuité. Des dossiers qui permettent de prouver l’ingérence étrangère au Burkina Faso : ces agences voulaient « remplacer Thomas Sankara par Blaise Compaoré ». Des éléments insuffisants pour faire pression sur la Côte d’Ivoire et envisager une extradition de Blaise Compaoré.
C’est là que les témoignages interviennent, car l’hésitation de Yamba Elise Ilboudo lors de l’audience de ce mardi a prouvé que les accusés craignent beaucoup plus leurs coaccusés que la justice. Et pour cause : Blaise Compaoré a pourchassé chaque personne voulant lever le voile sur ses crimes, lorsqu’il était capitaine de l’armée, puis lors de ses quatre mandats en tant que président. Les familles de l’ancien chauffeur de son frère François, David Ouédraogo, ou encore du journaliste Norbert Zongo, ainsi que des dizaines de sankaristes et d’autres opposants, le savent trop bien.
Gilbert Diendéré, une vie de trahisons
Quant à Gilbert Diendéré, accusé de complicité d’assassinats, de recel de cadavres et d’attentat à la sûreté de l’Etat, il purge déjà une peine de 20 ans depuis 2019. L’actuel procès vise à prouver qu’il avait activement soutenu les assassins au moment des faits. Son inculpation a aussi une valeur politique. Diendéré a été l’homme à tout faire de Blaise Compaoré, surtout durant les dernières années de son règne sanguinaire.
Il avait impliqué l’armée burkinabé dans les guerres civiles de la Sierra Leone, du Liberia, de la Côte d’Ivoire. Mais il a surtout été un « bon agent de la Françafrique » au Sahel, proche de l’armée américaine aussi. Gilbert Diendéré avait participé aux premières éditions de l’exercice militaire « antiterroriste » Flintok en tant que formateur. Il est aussi chevalier de la Légion d’honneur française. Enfin, après la démission et la fuite de Blaise Compaoré, Diendéré a mené une tentative ratée de coup d’Etat contre le président de transition Michel Kafando.