Selon les données officielles des autorités financières tunisiennes, la dette publique de l’Etat s’élève à 35,7 milliards de dollars au premier semestre 2021. Une dette qui a presque dépassé le PIB du pays.
La dette publique de la Tunisie pourrait bien atteindre 90,13 % du produit intérieur brut (PIB) tunisien à la fin de l’année. Les chiffres du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Appui à l’investissement sont alarmants. Déjà fin juin, la dette souveraine a dépassé les 35,7 milliards de dollars. Le rapport public, publié le 9 septembre, précise que l’aggravation de la dette publique est inévitable. Plus encore après les mesures d’exception, qui ont, depuis, été prolongées par le président Kaïs Saïed, qui avait décidé de s’arroger les pleins pouvoirs le 25 juillet dernier, alors que le pays était plongé dans une crise politique sans précédent.
Le président tunisien, jusque-là éloigné de la gestion des recettes de l’Etat, avait alors décidé de suspendre les travaux du parlement, de limoger le chef du gouvernement Hichem Mechichi et de se lancer dans une guerre contre la corruption dans les plus hautes sphères de l’Etat. Kaïs Saïed a, depuis, ordonné l’arrestation de plusieurs responsables politiques et empêché certains ex-dirigeants et hommes d’affaires de voyager hors du pays. La période d’exception, prorogée d’un mois supplémentaire le 23 août dernier, a mis un coup d’arrêt aux négociations de l’Etat tunisien avec le FMI. Alors que le chef d’Etat tunisien cherche des solutions diplomatiques pour affronter la dépression financière et socio-économique, la crise politique, elle, ne fait que de s’aggraver.
Une solution africaine pour aider la Tunisie ?
Pour l’économiste tunisien Taieb Talbi, auteur de l’ouvrage « La grande désillusion – L’argent des dictatures et des printemps arabes », la solution pour la Tunisie et les autres pays africains endettés est de chercher à faire annuler leur dette en faisant front face aux instances financières et à la politique dévastatrice de ces dernières. « Aucune aide extérieure ne saurait être à la hauteur des défis, parmi lesquels le sauvetage de plus de vingt millions d’emplois, dont la perte irrémédiable est annoncée, si aucune intervention n’est engagée par les Etats aujourd’hui sans moyens appropriés », estime Taieb Talbi.
L’économiste estime que la simple suppression du coût de service de la dette libèrerait 44 milliards de dollars de fonds propres pour l’Afrique. Pour ce faire, il appelle à une gestion panafricaine de la dette. Il faudrait donc « identifier clairement les dettes annulables, comme celles qui doivent être considérées comme odieuses et héritées de la colonisation ou de la seule décision de dirigeants autoritaires hors processus démocratique », insiste Talbi.
Seulement voilà, la Tunisie n’a jamais cherché, encore moins depuis la révolution en 2011, à s’intégrer dans l’espace africain. En février dernier, Kaïs Saïed n’avait pas jugé bon de participer au sommet de l’Union africaine. « Les Tunisiens ont tendance à oublier qu’ils font partie de l’Afrique. Ce continent n’intéresse pas le chef de l’Etat, très habité par l’idéologie nationaliste arabe et donc essentiellement tourné vers le monde arabe », résumait alors l’historienne Sophie Bessis. Certes, Tunis à demandé un statut d’observateur à la Cedeao, mais le dossier est toujours en discussions. Quant aux travaux de l’Union du Maghreb arabe, ils sont au point mort depuis des années, le Maroc préférant faire cavalier seul.
Que peut faire Kaïs Saïed ?
Avec un taux d’endettement public qui dépasse désormais celui de l’Egypte et de Madagascar, la Tunisie court-elle à la catastrophe ? L’indice boursier tunisien (Tunindex), ne cesse de flirter avec une performance annuelle de 5,84 %. Preuve de la fragilité des finances tunisiennes : les entreprises cotées en bourse, traditionnellement publiques, ont laissé les premières places aux entreprises privées offshore qui occupent désormais les 15 premières places des entreprises les plus rentables.
Or, la politique nationaliste du président Kaïs Saïed ne saurait aller de pair avec des finances engourdies par une dette insupportable et une bourse qui montre la faiblesse du secteur public. Selon les indicateurs de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), les transferts de la diaspora représentent 25 % des réserves de devises, soit le triple des recettes du tourisme. Cette somme représente aussi 64,2 % de la charge du remboursement de la dette extérieure. Malgré cette aide inestimable des Tunisiens résidants à l’étranger, l’Etat n’est toujours pas en mesure de planifier le remboursement de sa dette.
Aujourd’hui, la solution tunisienne passe inexorablement par une nécessaire renégociation de la dette. Reste à savoir si la volonté politique des dirigeants tunisiens sera suffisante. Le président Kaïs Saïed, de son côté, ne s’exprime jamais à propos des finances de l’Etat, mais tenterait actuellement de négocier des aides financières de la part des Emirats arabes unis (EAU) ou encore de l’Arabie saoudite. Les efforts diplomatiques du chef de l’Etat n’en sont qu’à leurs débuts.
Le temps presse. Le FMI, quant à lui, s’il en venait à négocier avec la Tunisie, tenterait indubitablemet d’imposer des mesures drastiques. Dans une étude récente, le collectif Intilaq 2050 estime que le bien-être de la Tunisie passe par « une renégociation de la dette en devises, la fin des intérêts sur notre propre monnaie, le ‘roulage de la dette sur 5 ans’, un grand emprunt citoyen, la fin des niches d’épargnes et fiscales qui bloquent l’investissement dans l’activité à valeur ajouté, une vraie lutte contre la corruption, la contrebande, l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent, la fin des monopoles et des rentes, une véritable transformation de fond de notre administration impliquant une redéfinition des rôles, des missions et des statuts de la fonction publique, une redéfinition en profondeur de notre modèle social ». Autant de sujets sur lesquels travaille actuellement Kaïs Saïed. Mais le remboursement de la dette, lui, n’attend pas.