Fondateur d’Orient XXI, Alain Gresh revient sur les conséquences de la normalisation des relations Maroc-Israël, annoncée à la fin de l’année 2020.
Début décembre dernier, après les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan, le Maroc devenait le quatrième pays en six mois à normaliser ses relations avec Israël. Un accord négocié par les Etats-Unis, qui ont convaincu le royaume grâce à un argument de taille : la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, fondateur et directeur de la revue en ligne Orient XXI, Alain Gresh revient sur cette décision qui bouleverse la géopolitique régionale.
Le Journal de l’Afrique : Le Maroc n’est pas le premier pays musulman à établir des liens avec Israël, mais le premier au Maghreb. Qu’est-ce que cela change dans la région ?
Alain Gresh : C’est une victoire pour Israël car le Maroc est un pays important du Maghreb, mais également très influent en Afrique.
La normalisation des relations avec Israël par les Emirats arabes unis et Bahreïn, puis par le Maroc, casse le consensus du monde arabe qui met dans la balance de la paix contre la reconnaissance d’un Etat palestinien, qui aurait Jérusalem-Est comme capitale.
Globalement, ce mouvement de normalisation affaiblit la cause palestinienne. Croire que la normalisation sera synonyme de paix, c’est se moquer du monde.
« Le Sahara occidental est un élément d’unité nationale »
Cependant, la normalisation entre le Maroc et Israël n’est pas vraiment un tournant. Des relations existent depuis longtemps entre eux, notamment au niveau économique. Israël et le Maroc ont également coopéré dans les années 1970-1980 dans la lutte contre le communisme en Afrique. Je ne pense pas que cette normalisation puisse provoquer un bond en avant des relations économiques entre les deux pays.
Le Sahara occidental en valait-il vraiment la chandelle ?
Le Sahara occidental est un élément d’unité nationale. En échange d’une décision comme la normalisation avec Israël, mal perçue par l’opinion marocaine, on donne satisfaction à une revendication nationale.
N’est-ce pas un risque pour le Maroc ?
C’est plutôt un succès pour la monarchie. Le Maroc peut se permettre ce genre de décision, l’Algérie étant affaiblie, absente de la scène régionale.
Et puis, les relations entre le Maroc et Israël existaient déjà, elles n’étaient pas secrètes. Les deux pays coopèrent dans plusieurs domaines.
Quel est l’avis de la population marocaine face à cette décision ?
Dans les années 2000, c’est au Maroc qu’ont eu lieu les plus importantes manifestations pour la cause palestinienne. Les sondages montrent, dans le monde arabe, un rejet de la normalisation.
Mais la liberté d’expression au Maroc est réduite et il est difficile de connaître l’état de l’opinion.
« La normalisation a été annoncée dans des pays aux régimes autoritaires sur lesquels les USA peuvent faire pression »
On remarque d’ailleurs que la normalisation a été annoncée dans des pays aux régimes autoritaires sur lesquels les Etats-Unis peuvent faire pression. Le cas du Soudan est emblématique : la Maison-Blanche a mis dans la balance de la reconnaissance d’Israël et le retrait du Soudan de sa liste noire des pays soutenant le terrorisme, ce qui a été négocié avec les militaires soudanais au détriment ces civils.
Doit-on s’attendre à pareille décision pour d’autres pays voisins, comme la Tunisie ou la Mauritanie ?
La Tunisie est un contre-exemple. Son président est farouchement opposé à une normalisation avec Israël et le peuple peut s’exprimer pour dire son désaccord, si cela devait arriver.
Pour ce qui est de la Mauritanie, elle a eu dans le passé, des relations diplomatiques avec Israël et on peut imaginer de nouvelles pressions pour qu’elle le rétablissent
Y a-t-il un risque de résurgence des tensions entre Alger et Rabat ?
Il y a un risque, oui, mais difficile à définir tant l’échiquier algérien est difficile à lire avec la paralysie du pouvoir et le développement du Hirak. Mais cette question pourra, à un moment donné, être agitée par l’Algérie ou le Maroc.
« Aujourd’hui, Israël joue un rôle important dans la sécurité des régimes dictatoriaux »
Pour Israël, le Maroc est-il une porte d’entrée en Afrique, grâce à l’influence de Mohammed VI sur le continent ?
L’Afrique avait rompu ses relations avec Israël au moment de la guerre du Kippour en 1973. Mais aujourd’hui, Israël joue un rôle important dans la sécurité des régimes dictatoriaux notamment. Les Etats-Unis le savent bien et l’appui du Maroc peut être favorable à Israël. Il y a cependant un contrepoids sur le continent : l’Afrique du Sud, qui milite pour la cause palestinienne.
Joe Biden désormais à la Maison-Blanche, l’histoire peut-elle être réécrite ?
Légalement, il semble qu’il ne puisse pas revenir sur la décision de Donald Trump. Et ce n’est, de toute façon, pas sa priorité.