Lors d’une interview rare, le leader politico-religieux Mahmoud Dicko a abordé plusieurs sujets. Notamment sa position sur la transition au Mali, et ce qu’il pense des protagonistes de la politique malienne.
L’imam Mahmoud Dicko est un personnage très influent au Mali. Souvent critiqué par la presse française pour sa position quant aux insurgés et aux groupes terroristes. Il est paradoxalement acclamé pour sa capacité à rassembler les acteurs politiques et à créer l’unité au Mali.
Néanmoins, Mahmoud Dicko accorde rarement des interviews à la presse. Souvent, il s’exprime dans les meetings populaires. Sinon, il préfère parler de politique à huis-clos. Toutefois, l’imam Dicko a choisi de se confier aux journalistes de Jeune Afrique. Une interview qui a confirmé sa position vis-à-vis des évènements actuels au Mali, et qui a élucidé certains points plus ambigus.
Cependant, une chose est sûre. Mahmoud Dicko voit dans le retrait progressif de l’armée française une bonne nouvelle. Selon lui, ce ne serait pas à la France « d’imposer ses solutions » au Mali. Il a aussi critiqué les derniers commentaires du président français Emmanuel Macron. Ce dernier avait fustigé l’Etat malien sur fond de « dérive islamique ». Or, selon Mahmoud Dicko : « le Mali est un pays à 98% musulman, son islamisation est un fait. Quant à la supposée radicalisation, c’est une erreur de lecture », a-t-il déclaré.
Le ton hautin de la France, et son islamophobie
Interrogé sur la tendance du chef d’Etat français à s’exprimer sur les affaires maliennes, Mahmoud Dicko a été intransigeant. « Ce n’est pas à la France que l’on demande de discuter avec qui que ce soit », a-t-il affirmé. Avant de rajouter : « Nous avons laissé le conflit (antiterroriste) devenir celui des Occidentaux. Alors que ce sont les Maliens qui en subissent les conséquences ».
En effet, l’imam Dicko ne rechigne pas à critiquer la politique malienne. Il faisait partie de ceux qui avaient demandé le départ de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Il estime que lorsqu’il s’agit de juguler la crise des groupes armés terroristes, c’est bien le rôle du gouvernement malien qui est prépondérant. Quant à l’intervention de Barkhane, il partage l’avis de la majorité des Maliens. « Voilà huit ans que les forces françaises sont au Mali. Pourtant, l’étau se resserre autour de nous », a-t-il déploré.
Ensuite, il préconise une solution endogène à la crise sécuritaire au Sahel. « Ce n’est pas à la France d’imposer des solutions », dit-il. Mahmoud Dicko critique ensuite le discours « hautain » d’Emmanuel Macron. « Il faut faire preuve de tolérance et d’humilité. Assister un pays souverain ne justifie pas de lui imposer ses diktats », explique-t-il. Puis il continue : « Le ton de la France ne plaît pas aux Maliens. Il pousse au radicalisme car c’est un ton radical ».
Puis, sur un ton plus grave, Mahmoud Dicko fait un constat sur l’islamophobie française. D’ailleurs, il en dit : « Je sais que la France ne m’aime pas. Je ne suis ni un prêtre, ni un cardinal, ni un archevêque. Je suis un imam, le mot fait peur à la France. Mais ce ne sont pas des imams qui ont pillé ce pays. ».
Le Mali partage le blâme pour la mauvaise gestion de la crise
Pour cette dernière accusation, l’imam Dicko préfère blâmer la « mauvaise gouvernance » des politiques maliens. Il estime que le premier adversaire du Mali n’est pas un pays, mais la corruption au sein du gouvernement. Par ailleurs, il réfute que la solution à la crise malienne puisse venir de l’étranger. Pour l’imam Dicko « ni la Russie, ni la France, ni les Etats-Unis ne règleront les problèmes du Mali ».
Il a aussi refusé de commenter l’éviction de Bah N’Daw. Pour lui, seule l’unité nationale est la solution à la crise malienne. Mahmoud Dicko nuance toutefois sur la qualification de la prise de pouvoir d’Assimi Goïta. « Les règles ne sont pas les mêmes pour tous », a-t-il dit. Accusant la France de condamner les mauvaises personnes. « Pourquoi ne pas avoir condamné ce qu’il s’est passé au Tchad ? » interroge l’imam Dicko. Il qualifie la position française et celle des instances politiques africaines de « faillite de la gouvernance mondiale ».
Enfin, quant aux défis du gouvernement de transition, l’imam Dicko est très clair. Il pense que la priorité devrait être l’organisation des élections à temps. Et pour son prétendu différend avec le Premier ministre Choguel Maïga, il n’en serait rien. Mahmoud Dicko considère que Maïga soit dans son rôle, et qu’il doit penser comme un homme d’Etat, non pas comme un opposant. Il écarte ainsi tout risque que les Accords d’Alger soient revisités.
Le Centre de l’imam Dicko pour la Paix et le Vivre ensemble dans le Sahel
Pour rappel, outre sa carrière en tant que président du Haut Conseil Islamique malien (HCIM), l’imam Mahmoud Dicko a lancé un projet concret pour aider à la lutte contre la radicalisation. En effet, en mars, le Centre pour la Paix et le Vivre ensemble dans le Sahel (CICM) est né. Un projet ambitieux de la part de Mahmoud Dicko. C’est aussi un pas nécessaire dans la reconstruction du Mali.
Selon le coordinateur du CICM, Boubacar Ba, la radicalisation des jeunes Africains au Sahel serait due en grande partie à la déscolarisation et l’analphabétisme. C’est pour cela que le CICM vise l’éducation comme moyen d’offrir aux enfants une autre alternative que prendre les armes contre l’Etat. De surcroit, le CICM participerait à démystifier les fausses interprétations de l’islam.
Car avant tout, les pensées religieuses radicales sont la principale cause des conflits. Et même si maintenant, la plupart des organisations terroristes se mobilisent pour des fins économiques, c’est un étendard socioreligieux ou politico-religieux qui promeut leur recrutement. Ainsi, l’imam Dicko donne une autre leçon aux Occidentaux qui prônent la lutte antiterroriste avec les armes dans des territoires souverains. Une façon plus pacifique est encore possible. Mahmoud Dicko avait d’ailleurs déclaré : « Ce sont nos enfants, nos élèves, nos fils. Pourquoi refuser de parler avec eux plutôt que d’essayer de trouver une approche qui puisse les ramener ? ».