En tentant de modifier ses politiques de confidentialité, WhatsApp a montré que les données dont il disposait valaient de l’or. Un business très juteux, mais qui va à l’encontre des valeurs prônées par le service de messagerie à ses débuts.
L’application est gratuite et ne génère directement aucun revenu à son propriétaire, le mastodonte Facebook. Oui mais voilà, Whatsapp reste l’application mobile la plus utilisée du continent africain. En 2015, Whatsapp générait 11% du trafic mobile total en Afrique subsaharienne. C’était deux fois plus que Facebook. Depuis, l’application s’est un peu plus envolée et, en 2018, comptait près de 200 millions d’utilisateurs rien qu’en Afrique, avec un taux de pénétration pouvant dépasser les 95 % des propriétaires de smartphones dans certains pays — Kenya, Nigeria ou encore Afrique du Sud, ce dernier pays étant actuellement en conflit avec le service de messagerie.
De la data commercialisable
Mais pourquoi le service de messagerie WhatsApp est-il si présent en Afrique ? A ses débuts, le service faisait figure de réseau sécurisé. Idéal pour les oppositions africaines, qui pouvaient alors s’organiser de façon confidentielle, ou pour les groupes souhaitant discuter en toute discrétion. « Personne ne peut rentrer dans les messages. Pas même les cybercriminels, les pirates, les régimes oppressifs. Même pas nous », assuraient d’ailleurs les fondateurs Brian Acton et Jan Koum il y a encore quatre ans.
Problème : la messagerie est gratuite et la publicité absente. Alors, comment rentabiliser ce quasi monopole en Afrique ? C’est certainement en se posant ces questions que les fondateurs de WhatsApp ont provoqué une chute annoncée de la messagerie. Pour comprendre où le bât blesse, il faut se pencher sur le modèle économique de WhatsApp. Le service ne rapporte rien mais peut se targuer d’être « une source très riche d’informations commercialisables avec des numéros de téléphone, des horaires et des temps d’utilisation, la géolocalisation, etc. Et enfin, il y a les entreprises qui utilisent WhatsApp pour vendre leurs produits et qui exploitent ces données pour établir le profil de clients potentiels », résume à BBC Mundo Cristian León, directeur de la programmation de Asuntos del Sur.
WhatsApp ne convainc plus ses utilisateurs
Sur la majorité du continent africain, la version business de WhatsApp a attiré de nombreux artisans et patrons de PME, qui peuvent ainsi échanger avec leurs clients concernant les commandes ou encore gérer le suivi des livraisons. Une manne financière importante pour le secteur économique africain, mais pas forcément pour WhatsApp qui ne peut officiellement se servir de la data récoltée. Le 4 janvier, le service de messagerie de Facebook tentait alors un coup de poker en essayant d’imposer de nouvelles politiques de confidentialité prévoyant notamment l’élargissement de l’utilisation de données personnelles à des fins commerciales. Devant le tollé provoqué par cette annonce, WhatsApp a dû décaler sa décision, après l’appel au boycott dans de nombreux Etats du continent.
Aujourd’hui, les patrons du service de messagerie américain sont partagés entre deux eaux : d’un côté, ils promettent de garder confidentiels et chiffrés les messages personnels. De l’autre, ils ont annoncé qu’ils partageraient avec Facebook les données des utilisateurs du service de messagerie de WhatsApp Business. Signal, Telegram ou encore MTN ont profité de ces tergiversations pour rattraper leur retard sur WhatsApp. Des services qui sont encore loin d’être au niveau de la messagerie de Facebook. Mais les hésitations de WhatsApp ont freiné l’essor du service de messagerie, dont les patrons savent qu’ils ont entre les mains de l’or — la data — dont ils ne peuvent pas se servir… en tout cas officiellement.