Alors qu’il doit fouler le sol ivoirien le 17 juin prochain, Laurent Gbagbo semble bénéficier d’une popularité hors-normes. La plupart des Ivoiriens verraient bien l’ancien président revenir dans l’arène politique.
Le 17 juin prochain, la Côte d’Ivoire attendra de pied ferme Laurent Gbagbo. Malgré le bilan chiffré avancé par Alassane Ouattara, les populations locales semblent regretter leur ancien chef de l’Etat. En termes de macro-économie, la Côte d’Ivoire a progressé depuis 2012. Mais les indicateurs n’intéressent que peu les habitants d’un pays qui remarquent que leurs conditions de vie se sont détériorées. La crise de la Covid-19 a fini de saper les derniers espoirs des Ivoiriens qui s’estiment moins bien lotis que dans les années 2000.
Alors, forcément, le retour programmé de Laurent Gbagbo amène une belle dose d’espoir chez les Ivoiriens. Notamment à Youpogon, son fief. Preuve de l’influence qu’a toujours l’ancien président : lors de la présidentielle de 2015, les partisans du Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Gbagbo, avaient appelé au boycott du scrutin. Le taux d’abstention avait alors atteint 63 % dans la commune située au nord d’Abidjan.
Et s’il a toujours été de bon ton de rappeler que l’ancien président était accusé de « crimes contre l’humanité » par la Cour pénale internationale (CPI), son acquittement redonne à Gbagbo un statut hybride de héros et de victime de la juridiction internationale. Désormais symbole de l’anticolonialisme et de l’anti-impérialisme, l’ex-chef de l’Etat reviendra au pays auréolé de cette victoire contre la CPI.
Un président proche du « petit peuple »
Mais c’est avant tout les années passées sous sa présidence dont se souviennent les Ivoiriens qui, selon le politologue Sylvain N’Guessan, interrogé par Le Monde, « se reconnaissent en lui ». Pour l’expert, Laurent Gbagbo a, lors de ses mandats successifs, « pratiqué une gouvernance par le bas en se liant avec le petit peuple. Il vient d’une famille modeste et connaît la vie des Ivoiriens. Il a fait le tour de la Côte d’Ivoire, fréquenté les populations dans leur quotidien. Il a une lecture marxiste de la société qui ne dit pas son nom, alors que Bédié et Ouattara sont des bourgeois ».
C’est peut-être là l’explication de son succès populaire : la gauche ivoirienne est aujourd’hui orpheline. Et Pascal Affi N’Guessan, le candidat du FPI lors de la dernière présidentielle, n’avait ni l’aura ni la vision de Laurent Gbagbo. Preuve que la politique de gauche de Gbagbo a encore de l’avenir : les résultats du Front populaire ivoirien lors des dernières législatives, qui a vu des candidats élus à l’Assemblée nationale, notamment grâce à son alliance avec d’autres partis d’opposition au sein de la plateforme Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS).
Reste désormais à savoir quel rôle jouera Laurent Gbagbo à l’avenir. Si le retour de l’ancien président a pris autant de temps, c’est certainement qu’il a fallu trouver un accord avec Ouattara. Dans une interview au Monde à la veille de la présidentielle, le chef de l’Etat se faisait menaçant : « Attention, il a été condamné pour le pillage de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest et puis il y a des victimes qui ont ouvert une procédure ici pour les tueries qui ont été perpétrées pendant sa présidence. Si je ne fais pas quelque chose, quand il rentrera, il ira directement en prison ».
Alassane Ouattara avait alors rappelé qu’il ne comptais par amnistier Laurent Gbagbo, bien qu’il comptait « prendre une décision qui facilite son retour ». Pour éviter la case prison, sera-t-il demandé à Laurent Gbagbo de se tenir éloigné de la politique ? « Je lui demande seulement de vivre une vie normale. D’être un sage, comme moi j’espère le devenir », disait Ouattara. Mais Laurent Gbagbo n’est pas le genre d’homme à qui l’on fait du chantage. Et face à la pression populaire, l’ex-président aura bien du mal à attendre sagement la fin de sa vie.
Gbagbo aurait terminé en tête lors de la dernière présidentielle
Au point de se relancer dans le jeu de la politique ? Un sondage OpinionWay daté du 6 août, tenu secret mais que nous avons pu consulter, prévoit l’éventualité d’une candidature de Laurent Gbagbo à la présidentielle d’octobre 2020. Face à Alassane Ouattara, Henri Konan-Bédié, Guillaume Soro et Hamed Bakayoko, Laurent Gbagbo terminait en tête des intentions de vote au premier tour avec 32 % des suffrages, avec neuf points d’avance sur le président actuel. Une nouvelle preuve qui montre à quel point Laurent Gbagbo pourrait peser au niveau politique s’il décidait de jouer un rôle dans le futur.
Si, le 17 juin prochain, l’accueil devrait être à la hauteur de l’événement, puisque Laurent Gbagbo doit rentrer dans un vol commercial depuis Bruxelles, l’ancien chef de l’Etat devrait prendre le temps de revoir ses proches et de réfléchir sur son avenir. Conscient de la popularité de Gbagbo, le pouvoir tente d’interdire tout rassemblement le jour de son arrivée à l’aéroport d’Abidjan. Après avoir retrouvé la Côte d’Ivoire, il sera ensuite temps pour Laurent Gbagbo de se poser les bonnes questions sur son avenir politique.