En marge des hostilités diplomatiques entre l’Ethiopie et les Etats-Unis depuis dimanche, les soldats éthiopiens et érythréens ont commencé à vider les camps de réfugiés des civils tigréens. Un acte annonciateur d’une ségrégation ethnique à des fins génocidaires.
Entre la soirée du lundi et la matinée du mardi, des soldats érythréens et éthiopiens ont détenu des centaines de femmes et d’hommes dans quatre camps pour les réfugiés au nord du Tigré. Selon les témoignages, ces soldats ont agi sur ordre de l’autorité militaire éthiopienne, qui administre la région d’Amhara.
La guerre du Tigré connait les crimes contre les civils depuis de longs mois. Toutefois, l’expulsion de réfugiés sur la base de leur ethnie est une première, même en Ethiopie. Ces exactions ont lieu en marge d’un bras de fer entre Washington et Addis-Abeba.
En effet, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a annoncé que les Etats-Unis imposeront de lourdes sanctions sur l’Ethiopie. Une déclaration qui a eu de l’écho à Addis-Abeba, où le ministre des Affaires Etrangères a déclaré que « l’Ethiopie sera obligée de réévaluer ses relations avec les Etats-Unis ». Selon Demeke Mekonnen : « Cette décision aura des implications au-delà de nos relations bilatérales », a-t-il dit.
En effet, non seulement l’Ethiopie fournit le gros des soldats des missions de l’Union africaine (UA) au Soudan, au Soudan du Sud et en Somalie. Mais l’Ethiopie est un partenaire clé des Etats-Unis dans la surveillance des groupes armés dans la Corne de l’Afrique. Enhardie par l’impunité, l’armée éthiopienne a donc décidé de provoquer la communauté internationale en chassant des Tigréens des camps de réfugiés.
Ethiopian and Eritrean soldiers arrested and beat 500 displaced civilians in Ethiopia's Tigray region, say aid groups.
2 million people are displaced after Ethiopia launched a military campaign in Tigray, with reports of mass killings, rapes and accusations of ethnic cleansing. pic.twitter.com/VZCc6I26SV
— AJ+ (@ajplus) May 25, 2021
Intrigues diplomatiques
Vendredi dernier, l’Ethiopie avait déclaré avoir condamné des soldats pour les crimes de guerre commis au Tigré. Elle a aussi insisté que les archives judiciaires ne seront pas publiées. Le gouvernement éthiopien subit de plus en plus de pressions des pays étrangers. Toutefois, les Etats-Unis n’ont raffermi leur position que dimanche dernier.
Le point de désaccord serait la longévité de la guerre, dont Abiy Ahmed avait assuré la rapidité. Aussi, la manière de l’armée éthiopienne de traiter les Tigréens, ainsi que l’intervention érythréenne, ont mis les alliés de l’Ethiopie dans une position délicate. Afin de pallier cette « mauvaise publicité », le gouvernement éthiopien a classé le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) comme « groupe terroriste ». Un fait non partagé par les Etats-Unis, ce qui a aggravé la mésentente. La bonne relation entre l’Ethiopie et la Chine constitue aussi un contexte hostile.
Demeke Mekonnen a effectivement déclaré hier : « Ce qui est encore plus triste, c’est que l’administration américaine nous traite sur un pied d’égalité avec le FLPT. Or, ce groupe a été désigné comme organisation terroriste depuis deux semaines ».
L’Union européenne (UE) avait suspendu les soutiens budgétaires éthiopiens depuis plus d’un mois. Cette décision faisait suite aux rapports de massacres de civils, de viols et de pillages au Tigré. Fin avril, les Etats-Unis avaient déployé un plan d’aide pour contrecarrer les sanctions européennes. Ce qui fait de la dernière annonce américaine un revirement de 180 degrés.
#USA is punishing Ethiopia for promoting economic partner with China in important beneficial development. While,#USA enhancing it‘s military bases & law enforcement presence on Africa. Ethiopia is not & will not be battlefield ofUS-China Cold War. #HandsOffEthiopia @NeaminZeleke
— Birhan Elias M. (@MaclarenBirhan) May 24, 2021
Une guerre ethnique ou un génocide en douceur ?
L’implication de soldats érythréens dans l’attaque sur les camps de réfugiés dans la région de Shire est plus grave encore. Le Premier ministre éthiopien avait annoncé le 26 mars que les soldats érythréens quittaient le Tigré. Le ministre de l’information de l’Erythrée, Yemane Meskel, a nié les évènements du mardi. Selon lui, il n’y aurait « aucune raison de rafler les déplacés internes » au Tigré. Il a aussi qualifié l’information de « propagande du FLPT ». L’armée éthiopienne n’a toujours pas commenté sur la nouvelle.
Néanmoins, le chef intérimaire du Shire, Tewodoros Aregai, a déclaré à l’agence Reuters qu’il y’aurait eu « des centaines d’arrestations ». Selon l’UNHCR, les détenus seraient plus de 500 personnes du groupe ethnique tigré. Si on en croit les témoignages, le chiffre serait autour du triple. Et il s’agirait, en effet, d’un acte de ségrégation afin de priver les Tigréens de l’aide humanitaire. Les proches des détenus ont manifesté devant les bureaux de l’ONU dans la nuit d’hier.
Depuis le début de l’offensive érythréenne-éthiopienne au Tigré, plus de 2 millions de personnes ont été déplacées. La quasi-totalité de ces personnes a besoin d’aide humanitaire. Les armées des pays assaillants imposent toutefois un embargo aux organisations humanitaires. Il n’y a que les membres de la mission de l’ONU qui entrent dans la zone. De plus, on retire à ces dernier la plupart des provisions qu’ils transportent. Si l’on commence à empêcher les Tigréens d’accéder aux camps de réfugiés, avec la guerre qui fait rage, cela reviendrait à un génocide ethnique, moyennant la faim et la soif en guise d’armes.
WARNING: Conflict causing extreme hunger in #Tigray; 5M+ people need humanitarian aid. Our early warning system now detects category 5 food emergency. THERE IS NO CATEGORY 6. Govt of #Ethiopia must act NOW to end fighting & allow access to aid workers.https://t.co/v0YplH0M0E pic.twitter.com/MDwP5k1tpF
— Samantha Power (@PowerUSAID) May 19, 2021