Au moins quinze civils ont été tués à Bulongo, dans l’est de la République démocratique du Congo, dans la nuit de dimanche à lundi. Une situation qui inquiète jusqu’aux Etats-Unis.
Au moins quinze civils ont été massacrés ce week-end dans le village de Mutilipi, à Bulongo, dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), a déclaré ce lundi matin Kasali bin Kapepela, directeur de l’Association des Organisations non gouvernementales du Kivu. Il assure que ce massacre est probablement l’œuvre de la milice des Forces démocratiques alliées (ADF).
Les massacres sont devenus plus fréquents depuis que les forces armées de la RDC ont lancé une offensive en octobre 2019, obligeant les ADF à se diviser en de nombreuses unités plus réduites mais surtout plus mobiles, selon des experts. Et d’après le Kivu Security Tracker, au moins 1 219 civils ont été tués par les ADF depuis 2017.
L’Etat islamique en réalité absent d’Afrique australe ?
L’organisation en question, la milice des ADF, avait été ajoutée sur la liste des organisations terroristes, jeudi dernier, par le Département d’Etat des Etats-Unis. Selon le communiqué de Washington, cette milice serait affiliée à l’Etat Islamique, l’administration Biden ayant avancé un lien entre les ADF et Ansar Al-Sunna du Mozambique et du Kivu en RDC. Le conflit du Kivu est particulièrement médiatisé depuis l’assassinat de l’ambassadeur Italien le mois dernier.
Cependant, le groupe armé n’a pas répondu aux accusations de Washington, ni revendiqué les attaques, celle d’hier inclue. De plus, si l’on en croit l’observatoire ACLED, l’observatoire spécialisé dans l’antiterrorisme et certainement le plus précis en Afrique, l’Etat Islamique n’est en réalité pas présent en Afrique australe
Après l’attaque de Mutilipi, douze corps ont été retrouvés, dont au moins quatre étaient des femmes. Certaines victimes ont été décapitées, a-t-il dit. Une famille de trois personnes du village où le drame a eu lieu manque encore à l’appel.
La population locale s’est rassemblée pour protester contre l’attaque. Un jeune homme a été tué par une balle perdue et un autre a été grièvement blessé lorsque la police a ouvert le feu pour disperser la foule, a déclaré Jean-Paul Muhindo Katembo, un haut responsable local.
Ni le gouvernement de République démocratique du Congo, ni les ONG n’ont attribué l’escalade récente de violences à l’organisation Etat Islamique, avant que les Etats-Unis ne lâchent ce pavé dans la mare.
Une source du Nord-Kivu indique au Journal de l’Afrique que, malgré l’obédience au wahhabisme des chefs de la milice des ADF, la plupart de ses membres sont des criminels locaux, dont plusieurs ne sont même pas musulmans. « Ce n’est un secret pour personne que les milices du Kivu se disputent surtout les ressources minières du nord et que l’armée, autant que Baluku (chef de l’ADF), ne sont que deux parmi tant d’autres à piller le Nord-Kivu », indique cette source anonyme.
Les Etats-Unis classent les ADF en tant qu’organisation terroriste
La milice des ADF n’est pas le seul groupe armé du Kivu. De récentes estimations partagées par le département d’Etat américain indiquent que plus de 122 milices sont présentes dans les quatre provinces frontalières orientales de la RDC, l’Ituri, le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et Tanganyika.
Dans son rapport, le département d’Etat Américain accuse les ADF d’appartenir à l’Etat Islamique. Il s’appuie sur le « contre-espionnage au Mozambique et en RDC, département d’Intelligence Stratégique ».
Mais cette façon de classer les ADF dans la catégorie terrorisme n’est pas anodin : selon le Centre des études stratégiques et internationales (CSIS), « bien qu’il s’agisse d’une réponse politique apparemment simple et mesurée à la brutalité des ADF et à ses liens terroristes internationaux, cette désignation risque d’entraver les efforts humanitaires et les activités potentielles de désarmement, de démobilisation et de réintégration de ses membres », estime John Hamre, le président du CSIS, une institution indépendante traditionnellement consultée par les Etats-Unis pour la planification stratégique des efforts antiterroristes depuis les années 1960.
Michael Gonzales, sous-secrétaire adjoint du Bureau des affaires africaines au département d’Etat américain, note également que les Etats-Unis soutiennent déjà l’armée congolaise contre les extrémistes violents en renforçant les opérations et les capacités civilo-militaires, l’ingénierie militaire, les communications stratégiques et les laboratoires de langue anglaise dans le but de donner aux dirigeants civils les moyens de promouvoir la réforme structurelle et la professionnalisation de l’armée.
« L’administration Biden-Harris met certainement l’accent sur la menace terroriste en Afrique, certains efforts que nous faisons actuellement collent à une stratégie plus globale », dit-il.
Les ADF sur la liste des organisations terroristes : quelles conséquences ?
Le placement sur la liste des organisations terroristes empêche les membres des groupes concernés de voyager aux Etats-Unis, gèle les actifs financiers sur le sol américain et dans les pays alliés, et érige en crime le fait de fournir un soutien ou des ressources à ces mouvements.
Le dirigeant des ADF est Musa Baluku, chef réputé au Congo. Il mène ce groupe initialement fondé par des rebelles ougandais.
John Godfrey, coordinateur par intérim de la lutte antiterroriste et membre de la Coalition mondiale contre l’Etat Islamique, également ancien diplomate américain en Arabie saoudite, a refusé de discuter des informations classifiées utilisées pour lier définitivement ces groupes africains (ADF en RDC ou encore ASWJ au Mozambique) à l’Etat islamique. « Mais les preuves sont incontestables », assure-t-il. « Et au Congo, les Etats-Unis sont confiants quant à l’établissement d’un lien des ADF avec le siège de l’Etat islamique ».