Cela fait presque quatre mois qu’ont débuté les mouvements économiques et commerciaux au sein de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Qu’est-ce que cela a vraiment changé ?
Symboliquement lancée en juillet 2019, la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) était une belle promesse de la part des pays de l’Union africaine, qui promettait « la paix et la prospérité en Afrique » et que cette zone deviendrait « le plus grand espace commercial au monde ». Après les premiers travaux, place aux actes. Et voilà environ quatre mois que la Zlecaf a été réellement lancée. La Zlecaf intègre toutes les communautés économiques africaines, et donc tous les pays du continent, au sein de la même zone de libre-échange.
La Zlecaf, c’est quoi ?
Il reste, certes, du chemin à parcourir… Actuellement, l’accord de libre-échange fonctionne dans 36 pays, tandis que 17 autres pays sont des membres potentiels qui ne devraient pas tarder à ratifier cet accord, censé représenter une étape importante pour l’intégration économique et le multilatéralisme en Afrique.
À ce jour, les négociations entre membres signataires se sont largement concentrées sur la réduction des tarifs et l’élimination des barrières non tarifaires pour fluidifier les flux de marchandises actuels. Cependant, si les populations africaines veulent tirer profit de ce projet, d’autres initiatives seront nécessaires. A commencer par une ratification encore plus large sur le continent.
Au cours de cette année, les négociations se concentreront sur les questions de propriété intellectuelle, d’investissements et de concurrence. La Zlecaf s’est rapidement avérée être le projet de libre-échange le plus ambitieux de l’histoire récente. Et pas seulement sur le continent africain. Deux questions se posent cependant : qu’a-t-on appris des accords économiques africains précédents ? Et justement, ce projet n’est-il pas un peu trop ambitieux ?
La Zlecaf, malgré son envergure, n’est pas sortie de nulle part. En Afrique, de nombreux accords commerciaux et économiques régionaux ont été signés au fil des décennies. A commencer par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et par l’Union douanière de l’Afrique australe (Sacu), qui fonctionnent depuis des décennies, mais qui n’ont finalement eu qu’un faible impact sur le développement national des pays membres.
Les communautés économiques en Afrique représentent même une étape supplémentaire de taxation pour la plupart. Elles subissent beaucoup d’ingérence étrangère, des gouvernements français et britannique principalement, et des instances financières internationales. Depuis leur naissance, elles sont aussi le théâtre de plusieurs scandales financiers et d’accords de financement aux taux d’intérêt si élevés qu’ils sont nocifs pour les pays signataires. Les exemples de l’endettement européen du Ghana ou encore de l’endettement de l’Angola auprès des banques nationales chinoises sont de parfaits exemples de mauvaise gouvernance financière.
L’union fait-elle la force ?
La caractéristique marquante de la Zlecaf est qu’elle vise à couvrir l’ensemble du continent — bien qu’on en soit encore loin. Cela permettra à l’accord de toucher à de nombreux domaines, malgré les défis que cela représente, à savoir la recherche de consensus et la mise en œuvre des décisions dans de nombreux pays membres. Et Bien que l’accord se limite en grande partie aux questions commerciales, il est susceptible de s’étendre à l’avenir, comme le montrent les discussions en cours sur l’investissement et la propriété intellectuelle, à d’autres thèmes.
Surtout, un semblant de structure commune du capital émergera bientôt pour accompagner l’accord. Cela représente autant un espoir pour les pays africains endettés qu’une menace pour les banques d’investissement ou de développement, qui perdent peu à peu le contrôle financier des pays africains, comme le FMI, la BAD, les banques européennes et les fonds d’investissement américains et chinois. Mais cela permettrait aux pays africains d’accéder plus facilement aux capitaux privés à l’intérieur du continent.
Une autre extension naturelle de l’accord impliquerait de nouvelles règles sur la circulation des personnes et des travailleurs en Afrique. De quoi faire glisser petit à petit la Zlecaf d’une institution commerciale à une institution politique qui ressemblerait à une sorte d’Union européenne.
Délibérations infinies et hantises du passé
Au sein de la Zlecaf, il sera aussi forcément question de la monnaie. Les monnaies communes sont depuis longtemps une faiblesse des économies africaines. Le franc CFA en est le meilleur exemple. La capacité des pays africains à mener une politique monétaire indépendante a été limitée par deux facteurs : de nombreux pays africains ont une monnaie vulnérable aux prix des matières premières, ce qui nuit à la stabilité économique à long terme ; et certains États africains utilisent des ancrages monétaires pour éviter les fluctuations fortes, abandonnant de facto leur souveraineté fiscale.
Ces mêmes pays, et d’autres encore en Afrique, se font imprimer leurs monnaies respectives à l’étranger, en Europe pour la plupart. Et donc perdent leur souveraineté monétaire et toute possibilité de diluer la monnaie ou de provoquer des inflations qui permettraient des projets de développement vitaux sans avoir à s’endetter davantage.
La Zlecaf, en tant que la communauté plus large et inclusive, pourrait faciliter la croissance des monnaies communes existantes. Ou peut-être même enfin envisager une monnaie commune, africaine celle-là.
Il est important de reconnaître que l’avenir de la Zlecaf et la direction qu’elle prendra dépendra en grande partie de l’importance que ses membres lui accorderont. Pour que ce projet politique et économique se poursuive, de gros investissements en capital diplomatique et économique seront nécessaires. La Zlecaf devra également éviter de devenir un champ de bataille politique, comme cela a pu se produire avec l’Union du Maghreb arabe en Afrique du Nord, où les désaccords entre l’Algérie et le Maroc sur le Sahara occidental ont empêché toute coopération significative entre ses membres.