Y aura-t-il une multiplication de datacenters en Afrique ? Selon les experts, il faudrait au moins 700 installations pour assurer la souveraineté numérique du continent et encourager l’adoption du cloud. Cependant, actuellement, il n’y a pas plus de 100 datacenters en Afrique, ce qui représente seulement 1,3 % du total mondial. La majorité d’entre eux se trouvent en Afrique du Sud. Le manque de financement et le manque de réglementation sont des obstacles à surmonter. Néanmoins, face à la dominance des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), les pays africains ne se laissent pas abattre et cherchent des solutions pour combler leur retard technologique.
La croissance rapide du stockage de données sur le continent africain en fait un carrefour stratégique pour les datacenters. Avec des réglementations favorables, l’Afrique du Nord est en train de devenir un important centre pour les datacenters hyperscale, avec Tunis abritant le plus grand datacenter neutre Tier4 d’Afrique du Nord, Dataxion.
Des structures conçues pour promouvoir l’innovation
L’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) dispose également d’un datacenter certifié Tier3 et Tier4 à Benguerir, au Maroc. Ce centre abrite le supercalculateur le plus puissant d’Afrique, l’African Supercomputing Center. Le Sénégal possède un complexe similaire près de Dakar à Diamniadio, où les données administratives – ainsi que celles de certains acteurs privés – sont hébergées pour faciliter la dématérialisation des démarches administratives.
Le pays d’Afrique du Sud est considéré comme un endroit prometteur pour la mise en place de datacenters.
Dans toute l’Afrique, les infrastructures sont en expansion grâce à la croissance de l’utilisation d’Internet (65,9% en Afrique du Nord et 48% en Afrique de l’Ouest), la numérisation des services publics, le développement du commerce électronique et des services bancaires. Cependant, c’est en Afrique du Sud qu’on trouve le plus grand nombre de datacenters. L’arrivée des câbles Equiano de Google et A2Africa a également accéléré cette tendance.
L’Afrique est devenue un centre d’échange majeur.
Les câbles sous-marins reliant l’Afrique du Sud à d’autres pays du continent permettent maintenant une augmentation de la bande passante à des prix plus abordables dans les pays d’Afrique subsaharienne et ouvrent la voie au déploiement de datacenters neutres envers les opérateurs dans différents pays. Deux autres câbles sous-marins, Metiss et Peace, apportent également de nouvelles capacités, celui-ci connectant la France à l’Afrique via Mombasa au Kenya et à l’Asie via le Pakistan.
On s’attend à une augmentation des data centers indépendants
Grâce à ces nouvelles capacités de bande passante, de nouveaux investissements sont en train d’émerger. Selon les prévisions, entre 5 et 6 milliards de dollars seront investis en Afrique dans des datacenters neutres vis-à-vis des opérateurs au cours des 3 à 5 prochaines années. Cela signifie que ces datacenters seront indépendants des fournisseurs de cloud et de réseau, donnant ainsi aux clients la possibilité de choisir le meilleur opérateur ou fournisseur pour leurs besoins. Ce nombre a augmenté de 20 à 50 en 2023 et trois acteurs majeurs du marché (Equinix, Vantage et Digital Realty) ont déjà annoncé des projets d’investissement supplémentaires.
L’Afrique attire l’attention des États-Unis et de la Chine.
Les grands fournisseurs de Cloud, tels que Microsoft, AWS, Huawei Cloud, Google Cloud, Alibaba Cloud et Tencent Cloud, ainsi qu’IBM Cloud et Oracle Cloud se précipitent dans le marché en Afrique du Sud sans aucune régulation. Cela pourrait bientôt faire du continent un terrain de jeu pour les géants technologiques américains (Gafam) et chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, Huawei et Xiaomi), d’autant plus que sa population est la plus jeune au monde et très consommatrice de téléphonie et d’Internet mobile.
Maintenir la maîtrise de ses données
De plus en plus de pays africains cherchent à renforcer leur souveraineté numérique en mettant en place des politiques, des lois et des réglementations pour la localisation des données. Cela nécessite non seulement une augmentation des investissements dans les infrastructures numériques, mais aussi la mise en place de restrictions sur l’hébergement et le transfert de données au-delà des frontières nationales, à moins d’avoir une dérogation spécifique.
Des initiatives en vue d’améliorer la souveraineté
Plusieurs nations ont déjà pris des mesures pour réguler la confidentialité et la protection des données, comme en témoignent la loi nigériane sur la protection des données (NDPR), la législation sud-africaine sur la protection de l’information personnelle (POPIA), le règlement kenyan sur la protection des données et la loi ghanéenne sur la protection des données.
Il y a de nombreux pays qui sont en accord avec la protection des informations personnelles.
La Côte d’Ivoire a été l’un des premiers pays à réglementer le numérique en adoptant une loi sur la protection des données personnelles en 2013 et en créant l’Autorité ivoirienne de protection des données. Le Maroc dispose également d’une Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP), tandis que l’Algérie a inscrit dans sa Constitution de 2020 la protection des personnes dans le traitement des données à caractère personnel comme un “droit” et a créé l’Autorité Nationale de Protection des Données à Caractère Personnel en 2022. En réponse à la hausse des escroqueries en ligne, fraudes et usurpations d’identité, les gouvernements africains ont compris l’importance de mettre en place une politique solide de protection des données avec un arsenal judiciaire efficace.
Transformant les datacenters en atouts clés
Cependant, en ce qui concerne la localisation des données, les pays africains ont adopté différentes approches, allant de la stricte à la souple et à des approches hybrides. Cependant, certains gouvernements prennent des mesures pour que les économies locales puissent bénéficier de ce nouveau marché. Le Nigeria est un exemple de cela avec sa politique de localisation des données qui vise à corriger le déséquilibre commercial défavorable dans le secteur des TIC et à promouvoir une économie numérique au profit de ses citoyens.
L’Afrique du Sud a la même ambition, considérant les données et l’infrastructure numérique comme des ressources nationales stratégiques. Les autorités locales voient l’hébergement des données sur le territoire comme un moyen de garder le contrôle sur ces informations. Ainsi, les datacenters sont perçus comme des actifs stratégiques qui doivent être protégés en conséquence.
Les pays africains travaillent ensemble pour harmoniser leurs politiques de données afin de faciliter la collecte, le stockage et l’utilisation de ces informations précieuses. Cette initiative vise à améliorer la qualité des données disponibles et à encourager leur utilisation pour le développement économique et social dans la région. En collaborant étroitement, les pays espèrent créer un environnement favorable à l’innovation et à la croissance grâce aux données.
Bien qu’une prise de conscience ait eu lieu, il est désormais urgent d’uniformiser les politiques en matière de protection et de localisation des données. La convention de Malabo, qui a pris effet à la fin de l’année dernière, constitue une première étape dans cette direction. Son but est d’établir un cadre juridique complet pour le commerce électronique, la protection des données, la cybercriminalité et la cybersécurité sur le continent. En adhérant à cette Convention, les 55 États membres de l’Union africaine s’engagent à élaborer des lois nationales dans chacun de ces domaines.
Ériger la souveraineté numérique en priorité politique
Dans le contexte du XXIe siècle, les données sont devenues une ressource précieuse et la possession de ses propres infrastructures est un élément clé de l’indépendance pour l’Afrique. En hébergeant, en réutilisant ou en vendant leurs données, les entreprises et les startups locales restent compétitives par rapport aux acteurs étrangers. Cette localisation des données présente également des avantages pour le pays qui les héberge ainsi que ses voisins, en favorisant les échanges commerciaux au sein de la communauté. Par conséquent, l’implantation d’un datacenter au Sénégal peut fonctionner comme un moteur économique dans toute la zone UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine).
Cependant, le principal obstacle reste les investissements et une réelle volonté politique pour développer une infrastructure numérique indigène qui permettra aux pays d’Afrique de se libérer de leur dépendance envers des plateformes étrangères. C’est pourquoi la souveraineté numérique doit être considérée comme une question géopolitique à l’échelle du continent, et cela progresse déjà dans de nombreux pays.