Des zones d’ombre planent encore sur les circonstances de la mort du maréchal président Idriss Déby. Après trois semaines, de nombreuses théories commencent à circuler. Certaines sont plus crédibles que d’autres.
Trois semaines nous séparent de la mort du président tchadien Idriss Déby Itno. La version officielle des faits a souvent été mise en doute. Le Tchad connait un blackout médiatique depuis des années. Les médias nationaux ont donc repris l’annonce officielle du décès du chef d’Etat tchadien. Depuis l’annonce de l’élection présidentielle tchadienne, Idriss Déby a fait face à une offensive rebelle. Le groupe FACT, jusque-là exilé en Libye, et représenté diplomatiquement par la diaspora tchadienne en France, a pris d’assaut le nord du pays le 11 avril. Une semaine plus tard, l’offensive rebelle avait atteint la ville de Ntiona. Dans la soirée du 18 avril, le président Déby s’est lui-même déplacé au front, où il a été tué.
La connexion entre l’opposition et l’assassinat de Déby
Les photos du cadavre de Déby ont fait le tour des réseaux sociaux. Bien que brutales, les photos ont mis en évidence les blessures par balles à la tête et à l’abdomen. Au vu des dégâts ravageurs, la balistique indiquerait des effets de balles 7.62 NATO, probablement à ogive creuse. Et bien que ces munitions soient présentes en abondance chez le FACT, elles le sont tout aussi bien chez les militaires de l’armée tchadienne.
Des théories du complot de tout genre ont fusé, certaines par des opposants au régime Déby. Parmi eux, l’ancien ministre des Mines et de l’Energie, Yaya Dillo Djerou. Ce dernier était aussi candidat à l’élection présidentielle, pour le Parti Socialiste Sans Frontière (PSF).
Dillo s’est toujours attaqué à la Première dame, Hinda Déby. Il fait aussi partie du clan du président, précisément le groupe ethnique zaghawa. Pour cette raison, et malgré son influence relativement mineure, le régime Déby a tout fait pour mettre un coup d’arrêt à ses ambitions. En février, une tentative d’arrestation à son encontre, au Tchad, a provoqué la mort de deux personnes. L’opposition a condamné l’évènement. Le chef de l’opposition radicale, Saleh Kebzabo, l’a qualifié de « militarisation de la répression ». La tentative d’arrestation de Yaya Dillo a donné le coup d’envoi du boycott de l’élection par l’opposition.
Président yaya Dillo est de retour à N’djamena. Développement encours ! pic.twitter.com/KyVkzZsgZm
— Yaya dillo Betchi ou la mort ! (@kral_ennedili) April 27, 2021
Un conflit clanique à l’origine de la mort du maréchal ?
Selon l’ancien haut fonctionnaire français, Thomas Dietrich, l’attaque contre Dillo aurait aussi provoqué une scission au sein des zaghawa. Cela se serait traduit par un conflit interne, qui se serait propagé jusqu’aux hautes sphères du gouvernement tchadien. Et bien évidemment, l’armée ethnocentrée, qui contrôle une large portion du territoire, a subi les effets de cette discorde.
Lors d’une longue interview de Dietrich, dans laquelle il analyse la crise tchadienne, l’écrivain émet une hypothèse curieuse. Selon lui, la mort d’Idriss Déby Itno relèverait d’un règlement de compte au sein du clan zaghawa. Il rappelle, entre autres, que du vivant d’Idriss Déby, l’armée avait semble-t-il tué la mère de Yaya Dillo et son fils. Ces derniers faisaient aussi partie de la famille du président, et leur meurtre aurait « marqué le clan d’Idriss Déby », affirme Dietrich. Il assure ensuite que, selon ses propres sources, un garde du corps d’Idriss Déby aurait appuyé sur la détente. Et il atteste notamment de la présence sur les lieux d’un officier de l’armée française qui avait informé Paris de l’assassinat, le 18 avril.
Ce n’est que le 20 avril que le Conseil militaire de transition (CMT) a annoncé les faits. Selon les déclarations de l’armée, Déby aurait été tué au front par le FACT, et son fils Mahamat serait à la tête de CMT, qui a suspendu la Constitution et le parlement, annulant ainsi le transfert de pouvoir prévu dans les textes.
Le seul fait possible à prouver dans l’histoire de Dietrich, pour le moment, outre les évènements successifs à l’annonce du CMT, est le délai entre le décès du président et son annonce. Mais aussi la sortie de l’ombre de Mahamat Déby en tant qu’héritier du pouvoir tchadien. Sans oublier, certainement, la mise en avant de Yaya Dillo comme représentant de l’opposition civile tchadienne sur les médias internationaux.
PHOTO: Chadian First Lady & widow of late Chadian president Idriss Deby, Hinda Deby Itno (2-R) sits in the front row as she & other dignitaries attend the state funeral of Deby in N’Djamena on April 23, 2021.#MonitorUpdates
📸AFP pic.twitter.com/G4fYwRgO2m— Daily Monitor (@DailyMonitor) April 23, 2021
Une ingérence française
La thèse d’une succession organisée au Tchad, au niveau du pouvoir et de l’opposition, serait bien plausible. De surcroît, l’interventionnisme français au Tchad n’est un secret pour personne. De son vivant, Idriss Déby avait bien précisé que la France l’avait fortement encouragé à briguer son quatrième mandat. Il avait aussi affirmé à la presse que l’Etat français avait opéré unilatéralement la révision constitutionnelle au Tchad en 2016. Ce ne serait donc pas un euphémisme que de présumer l’implication française dans le processus de transition tchadien.
Mais qu’en est-il des relations entre Paris et Mahamat Déby, le successeur de son père ? Le fils du défunt président, qui règne de facto au Tchad aujourd’hui, n’était pas préparé pour cette tâche. Le président français s’est longuement entretenu avec le nouveau chef de l’Etat tchadien, lors de l’enterrement d’Idriss Déby.
TCHAD : “MACRON A DU SANG SUR LES MAINS”
Des manifestations meurtrières secouent le Tchad depuis la mort d’Idriss Déby Itno, à la tête du pays pendant 30 ans et allié de la France. Pour en parler, nous recevons Thomas Dietrich, spécialiste de ce pays.
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— Le Média (@LeMediaTV) May 6, 2021