De plus en plus présent sur le continent, le Marocain Kamal Benali mêle ambitions diplomatiques et affairisme. Ses cibles ? Les dictatures africaines. Mais quel est son véritable rôle au sein du Crans Montana Forum, dont il affirme être le vice-président ?
Cela fait 35 ans que le Crans Montana Forum (CMF), créé par le Suisse Jean-Pascal Delamuraz et Jean-Paul Carteron, et « ayant pour mission de construire un monde meilleur » existe. Depuis quelques années, outre Jean-Paul Carteron, président actuel du forum, un Marocain navigue dans les sphères diplomatiques. Kamal Benali se présente comme « vice-président du Crans Montana Forum et ambassadeur de la World Diplomatic Academy », une émanation du CMF. Mais très vite, joint par le Journal de l’Afrique, le patron de l’événement, Jean-Paul Carteron, précise que, contrairement à ce qu’indique Kamal Benali — ou Kamel Benali selon les plateformes —, « il n’y a pas de vice-président au Crans Montana Forum. Je suis le seul responsable des activités, des choix et des stratégies qui sont mis en œuvre ».
Pourtant, Kamal Benali porte sur sa veste le « pin’s » du CMF, qu’il arbore aussi fièrement qu’une légion d’honneur. Jean-Paul Carteron s’est rapidement pris d’amitié pour le quadragénaire marocain, connu pour être affable. « Lors des deux forums auxquels il a participé, il a surpris, assez sympathiquement, tout le monde par son activisme relationnel et la manière de former spontanément des groupes amicaux et interactifs au sein des participants », explique-t-il. Benali s’est, petit à petit, approprié le CMF, jusqu’à apparaître sur la plupart des photos et vidéos de l’événement. « J’ai pu constater combien Monsieur Benali était friand de tels souvenirs, ce qui m’a paru sympathique », indique Jean-Paul Carteron. Dans les milieux politiques français, plusieurs sources confirment que « Kamal Benali sait être ‘sur la photo’, toujours présent au bon endroit, au bon moment ».
Crans Montana Forum, le Cheval de Troie de Kamal Benali
Outre les émanations du CMF, comme l’IUHEI Crans Montana Institute, un « centre de réunions », la World Diplomatic Academy, qui remet des distinctions à des personnalités, ou encore le Cercle des Ambassadeurs, Kamal Benali promeut Efficient Network. « C’est, à ma connaissance, la société de Monsieur Benali, comme la plupart des hommes d’affaires qui participent à nos activités en possèdent une », balaie d’un revers de la main Jean-Paul Carteron. Mais, explique l’un des anciens prestataires de l’homme d’affaires, « Kamal Benali intègre dans ses activités de conseil des tickets pour le CMF, qu’il monnaye ». Ce qui n’étonne qu’à moitié le président du forum : « Les éventuelles propositions professionnelles qui ont pu être faites par Monsieur Benali à qui que ce soit ne concernent que lui et sa société. Je ne suis pas heurté, compte tenu de son enthousiasme, qu’il ait pu envisager de proposer une entrée au Forum à certains de ses clients potentiels. Mais encore faudrait-il que les personnes concernées y soient invitées ».
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Depuis plusieurs années, Kamal Benali sillonne les dictatures pour tenter de vendre ses services de communication ou de stratégie. Pour ce faire, il s’appuie sur le réseau de Carteron, qu’il tente aujourd’hui d’écarter après plusieurs années de collaboration. Exemple avec une tentative d’approche de Mohamed Hamdan Dogolo, le vice-président soudanais. Benali a remis à son jeune frère l’insigne de « Youg leader » de son académie — « C’est le genre de ‘papier’ que l’on remet assez facilement à de jeunes et futurs ‘espérés leaders’ », résume Jean-Paul Carteron — et a fait le forcing auprès du sanguinaire militaire soudanais pour gérer lui-même son lobbying à l’international. Avec la promesse de lui faire rencontrer le haut du panier de son réseau, la Première ministre… estonienne, Kaja Kallas. De son côté, le président du Crans Montana Forum se désolidarise de Kamal Benali : « Depuis 37 ans, le Crans Montana Forum a strictement et sans jamais une seule exception consacré son activité à la seule et exclusive organisation de Forum. Le CMF ne fait pas d’affaires, ne fait pas de prestations de services et n’a jamais accepté, par exemple, des mandats de communication pour quiconque », assure Jean-Paul Carteron.
De « Kamal Tapis » à Kamal Benali
S’il joue volontiers de cette ambiguïté pour approcher des chefs d’Etat, Kamel Benali sait où il va. Pour en arriver à côtoyer les grands de ce monde, Kamel Benali s’est appuyé sur plusieurs hommes bien intégrés dans les sphères africaines, d’un des symboles de la « Françafrique », Vincent Miclet, à Jérôme Cahuzac, ancien ministre français du Budget, condamné pour avoir possédé des fonds non déclarés sur un compte en Suisse et à Singapour, en passant par Robert Bourgi, condamné pour financement illégal de parti politique, ou enfin Bernard Kouchner, accusé de conflit d’intérêts entre ses activités publiques et privées en Afrique. Avec un leitmotiv : plus les chefs d’Etat sont isolés vis-à-vis de la communauté internationale, voire infréquentables, plus ils sont des proies faciles. C’est ainsi que le Marocain s’est rendu à l’investiture d’Alpha Condé, le président de Guinée, en décembre 2020, en espérant lui soutirer un contrat. Sans résultat.
Qu’importe le client, pourvu que le contrat soit signé. Benali veut sa revanche, après avoir travaillé dans l’ombre de Jean-Paul Carteron. « C’est un revenchard et on ne peut pas lui retirer une chose : il est prêt à tout pour réussir », résume un proche d’Efficient Network. Pour le Marocain, tout débute en région parisienne. Son père gère un magasin de meubles et de tapis, aux accents très marocain, le Carrefour de l’Orient. Ce qui vaudra, dans sa jeunesse, à Kamal Benali, le surnom de « Kamal Tapis », en référence à son admiration pour l’homme d’affaires Bernard Tapie. Il domiciliera d’ailleurs plusieurs sociétés au Carrefour de l’Orient. Car « si Benali se présente comme un ‘serial entrepreneur’, il est surtout connu pour créer des coquilles vides, sans bureaux ni salariés », explique un ex-collaborateur.
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Ses rendez-vous, Kamal Benali les fixe d’ailleurs dans des bureaux loués à l’heure, « dans le 8e arrondissement de Paris ». Il rencontre des prospects avec un intermédiaire, Hassan Mebarki, qui se présente pêle-mêle comme « producteur de cinéma », « administrateur de la société Elitavia » et « meilleur ami de Gérard Depardieu », ou encore Arnaud Sanchez, accusé d’escroqueries avec son « Centre de formation des élus ». En réalité, d’ailleurs, s’il passe le plus clair de son temps à Paris — il dispose d’un titre de séjour français —, Benali est en fait basé dans un paradis fiscal. « Tout n’est que du vent, poursuit un ancien proche du Marocain. Même son passé n’est que du storytelling ».
À lire le CV de Benali, en 2013 et 2014, en effet, Efficient Network a travaillé avec l’Iraqi National Business Council (INBC) et avec la National Investment Commission, en Irak. Pourtant, selon les registres légaux chypriotes, Efficient Network est une société créée à Nicosie… en 2021. Du côté des présidents africains, Benali n’hésite jamais à montrer ses photos aux côtés du président bissau-guinéen Umaro Sissoco Embaló et affirme, à qui veut l’entendre, qu’il finance certains des déplacements du patron de la Cedeao. Ce que démentent les sources proches de Bissau. D’autres affirment d’ailleurs qu’Embaló s’est éloigné de l’homme d’affaires, jugé trop peu sérieux.