Après le premier tour des législatives françaises, ce dimanche, la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES) de Jean-Luc Mélenchon est arrivée en tête. Si le leader de La France Insoumise n’est pas encore Premier ministre, il espère prendre Matignon après le second tour. Une chance pour les relations Afrique-France ?
Lors des élections législatives françaises, dont le 1er tour s’est déroulé ce dimanche 12 juin, la majorité d’Emmanuel Macron — la coalition Ensemble — s’est faite bousculer par l’arrivée en force de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES) initiée par le leader de la gauche Jean-Luc Mélenchon.
Si les prévisions donnent une quasi-égalité entre les deux coalitions parlementaires, une chose est sûre : ces élections législatives détermineront le prochain occupant de l’hôtel de Matignon, siège de la primature française, où a été désignée depuis peu Élisabeth Borne.
En fonction de l’occupant de Matignon, beaucoup de choses pourraient changer quant à la politique du gouvernement français, que ce soit au plan national comme au plan international. Vue d’Afrique, la diplomatie française a grandement régressé lors du premier mandat d’Emmanuel Macron. Et si les Africains et la diaspora africaine n’espéraient pas beaucoup d’amélioration en cas de victoire de l’extrême droite ou de la majorité présidentielle française, lors des législatives, la perspective de voir Mélenchon à Matignon change la donne.
La fin de la politique macronienne ?
En effet, que ce soit dans le camp de Macron, celui de Marine Le Pen, ou pire, celui d’Éric Zemmour, les programmes africains exposés lors de la présidentielle du 24 avril dernier n’étaient pas véritablement en faveur du développement du continent. Traditionnellement, la gauche française a souvent entretenu de meilleurs rapports avec les Etats africains, qu’elle ait été au pouvoir ou dans l’opposition.
Avec la légère avance de la NUPES, Jean-Luc Mélenchon est donc en passe de déloger la nouvelle Première ministre Elisabeth Borne. Si le Premier ministre français est nommé par le président — Emmanuel Macron, donc —, la coutume veut que le chef du gouvernement soit issu de la formation politique majoritaire à l’Assemblée nationale.
Entre 2017 et 2022, la coalition Ensemble d’Emmanuel Macron — La République en marche, à l’époque — lui a assuré de choisir des Premiers ministres du même bord : Édouard Philippe, puis Jean Castex. La coalition présidentielle compte actuellement 348 députés sur les 577 de l’Assemblée, dont 267 pour le parti de Macron. Or, les résultats du premier tour des législatives ne garantissent pas à Emmanuel Macron de pouvoir maintenir sa Première ministre.
Si la NUPES s’imposait lors du second tour le 19 juin et que, grâce au jeu des alliances, Mélenchon réussissait à obtenir la majorité absolue, un grand remaniement ministériel s’opérerait. L’arrivée du leader de la gauche à Matignon serait un vrai changement pour la politique africaine de la France.
Mélenchon rêve d’abolir « la politique pourrie » de Macron en Afrique
Tout d’abord, concernant les ingérences françaises en Afrique francophone, Mélenchon assure vouloir « combattre le fléau de la prédation ultralibérale qui s’abat sur l’Afrique ». Or, ce « fléau » que décrit le député français n’est imposé par l’Etat français que dans son volet diplomatique, voire militaire dans le cas du Tchad, ou du Niger. Jean-Luc Mélenchon a souvent défendu la révision des accords militaires avec les pays africains, tout comme il propose de réguler les exportations d’armes.
Il faut rappeler que la vente d’armes a été l’un des points d’ancrage d’Emmanuel Macron en Afrique lors de son premier mandat, et a également provoqué bien des scandales. La vente d’armes au régime dictatorial égyptien, ou le blanchiment d’argent de dirigeants d’Afrique Australe et d’Afrique Centrale font l’objet de plusieurs affaires visant les gouvernements français depuis Sarkozy, et jusqu’à aujourd’hui.
Quant à l’intervention militaire française en Afrique, Jean-Luc Mélenchon s’y oppose farouchement depuis 2012, bien avant Serval et Barkhane. « JLM » semble vouloir rebattre les cartes françaises sur le continent et revoir les alliances avec certains autocrates africains.
Lire : Au Burkina Faso, Jean-Luc Mélenchon dessine sa politique africaine
Mais c’est surtout dans le soutien de l’Etat français à ses entreprises nationales en Afrique que se manifeste le gros de la politique africaine de Paris. Mélenchon se dit opposé au « pillage (de l’Afrique) organisé par les traités de libre-échange ». Il dénonce « la politique africaine pourrie d’Emmanuel Macron » dont la « vision affairiste » répond « aux seuls intérêts bornés des oligarchies » selon Mélenchon.
Dans son programme présidentiel, il défendait « une relation avec l’Afrique basée sur la souveraineté des peuples ». Et, toujours à propos d’économie, Mélenchon est partisan de l’abolition du franc CFA, et demande que les pays africains « deviennent seuls maîtres de leur monnaie ». On est loin de la politique actuelle de Paris.
Le leader de la gauche française et potentiel futur Premier ministre a par ailleurs toujours milité pour l’interdiction de l’exportation des déchets toxiques des entreprises françaises en Afrique.
Mélenchon et l’Afrique : des idées… différentes
Les promesses que faisait Jean-Luc Mélenchon lors de la campagne présidentielle pourraient donc être celles de son futur mandat de Premier ministre. Reste que, avec une légère avancée de 26,1 % contre 25,6 % pour la coalition de Macron, rien n’est encore joué. De surcroît, pour pouvoir imposer ses engagements, il faudrait que Mélenchon soit nommé Premier ministre, qu’il garde sa coalition intacte et qu’il réussisse à s’imposer face à Emmanuel Macron… La cohabitation s’annonce houleuse.
S’il arrivait à installer son propre gouvernement, tout dépendra des portefeuilles que Jean-Luc Mélenchon négociera avec le président. Nul doute que le ministère des Affaires étrangères sera l’un des enjeux de la négociation.
Au-delà du Quai d’Orsay, sur l’écologie et les investissements français en Afrique, aucun doute que Mélenchon, en tant que Premier ministre, pourra revendiquer de nouvelles normes vis-à-vis du continent. Toutefois, il n’y a pas d’influence française en Afrique qui ne passe pas par le ministère des Affaires étrangères. Et avec le départ de Le Drian, tous les espoirs sont permis.
L’actuelle ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna « n’a pas une goutte de politique africaine en elle », selon les mots d’un ancien diplomate français. Or, si l’on se base sur le peu de déplacements effectués par Jean-Luc Mélenchon en Afrique, la diplomatie africaine du chef de file de la gauche française, même si elle respecte l’idéologie de son parti, est loin de convaincre au sein de sa propre coalition, et demeure quelque peu utopique et même populiste.
Néanmoins, celui que Jeune Afrique décrit comme « le candidat des Africains » est sans doute plus proche du Maroc — il y est né —, du Burkina Faso — il se considère comme un sankariste de longue date — et du Mali, désormais mal embarqué dans sa relation avec la France. Jean-Luc Mélenchon est le seul chef de bloc parlementaire français à avoir condamné le rôle de la France dans la dégradation de ses relations avec Bamako, ainsi que l’effet des sanctions frappant le Mali.
Lire : France-Maroc : ce que change la réélection d’Emmanuel Macron
D’un autre côté, Jean-Luc Mélenchon a un avis qui tranche avec les alliances historiques de Paris. Son arrivée à Matignon pourrait bousculer les prés carrés français en Afrique. En 2016, devant le Parlement européen, « JLM » avait qualifié de « tricherie » la réélection d’Ali Bongo au Gabon. A propos du Tchad, il appelait, l’année dernière, à ce que la France choisisse « le peuple tchadien plutôt que le sixième mandat d’Idriss Déby ». Et là où Macron n’avait rien trouvé à redire à un troisième mandat d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, Mélenchon qualifiait l’élection ivoirienne de « parodie ». Sans oublier, en 2020, ses sorties contre le régime Gnassingbé au Togo.
En définitive, Mélenchon n’a pas sa langue dans la poche. Il soutient, grâce à des mots forts dans les médias, sur les réseaux sociaux et au parlement français, des causes partagées par une grande partie de la jeunesse africaine. Reste à savoir si l’Insoumis français arrivera à révolutionner la politique africaine de Paris.
Mais avant d’espérer poser ses valises à Matignon, la NUPES doit confirmer son avance lors du second tour des législatives. C’est seulement à ce moment-là que le leader de la gauche pourra édifier une nouvelle diplomatie française en Afrique.