Kahina, ou Dihya, la reine berbère qui unifia l’Afrique du Nord est une légende dans le nord du continent. Qui était cette femme à laquelle on attribue des pouvoirs surnaturels ?
Entre le mythe et la réalité, se situe souvent l’Histoire des héros et héroïnes. Plusieurs anthropologues considèrent que les sociétés africaines sont des sociétés matriarcales, en raison d’un rôle éminent de la femme dans la société, qui remonte à l’histoire lointaine des figures de légende.
C’est le cas de Kahina – oracle en langue arabe –, de son vrai nom, Dihya, qui était la dernière reine de l’Empire berbère. Avec un parcours politico-militaire hors du commun, cette femme demeure, aujourd’hui encore, un symbole pour le mouvement féministe. Mais, également, en raison de son rôle dans la résistance à l’envahisseur, son nom est inscrit à tout jamais dans l’histoire en tant que combattante contre l’invasion étrangère. La figure de Kahina prend également une dimension continentale très symbolique car, l’Empire qu’elle défendait alors, n’était autre qu’Ifriqiya, la région qui aurait donné son étymologie à l’Afrique et qui s’étendait de Benghazi en Libye à Oran en Algérie moderne.
La légendaire reine berbère est née autour de 670 et morte au combat en 703. Dihya, surnommé Kahina depuis l’enfance à cause d’une présumée capacité de voyance, naquit dans la tribu des Djeraoua, dans les régions montagneuses de l’Est algérien. A cette époque, les Botr – conseil dirigeant de l’Empire berbère – étaient sous le contrôle de Tabeta fils de Tifan (surnommé Mâtiya, l’implacable en numidien), le père de Dihya. Tabeta cherchait, au milieu du VII siècle, à réunir les tribus berbères sous le même « Agellid » – roi –, mais les conflits intestins, provoqués par une influence des Byzantins sur les tribus du Nord, empêchaient l’union de se concrétiser.
Kahina, une légende est née
En 683, l’expansion arabo-musulmane atteint le centre d’Ifriqiya. A la tête du corps expéditionnaire arabe, se trouvait le fameux général Oqba Ibn Nafi, l’un des trois commandants des armées du jeune califat omeyyade, mais ayant fait ses armes avec les « califes bien guidés », les compagnons du prophète de l’Islam Mohamed, surtout le second – Omar ibn al-Khattâb.
Face à l’offensive orientale, le prince berbère Koceïla montra qu’en s’unissant, les berbères pourraient tenir tête à l’envahisseur. Koceïla aurait été soutenu, selon l’historien Ibn Khaldoun, par le père de Kahina, Tabeta. C’est à l’occasion de ce conflit, qui dura cinq ans, que la tribu des Djeraoua devinrent la première puissance de la région. Et lorsque Koceïla a été battu et tué en 688, Tabeta a tout fait pour promouvoir sa fille, alors âgée de 17 ans. Les Djeraoua clamaient, à la mort de Koceïla, que Kahina sentit sa mort, et qu’il parla à travers elle, appelant les tribus à s’unifier autour de la jeune femme.
Kahina a donc été élevée en tant que légende vivante. Considérée dotée de pouvoirs surnaturels, son nom était fameux dans toutes les villes berbères. C’était aussi, pour Tabeta, l’occasion de remettre à l’ordre du jour les traditions berbères perdues, en raison de la prédominance des trois religions monothéistes au sein de l’Empire. Tabeta craignait surtout l’influence de l’orthodoxie byzantine, qui prenait de l’ampleur le long de la côte entre Carthage et l’actuel Tripoli.
Kahina a donc été élevée en tant que cynique, dans une société plus axée sur le mysticisme que la religion. Raison de plus pour promouvoir la propagande de son père, qui voyait en l’expansion de l’Islam dans l’Empire une nouvelle menace pour la tradition amazighe. Dès son plus jeune âge, Kahina était l’une des rares femmes à maitriser l’équitation, l’escrime et l’archerie. Ce qui contrastait, selon les quelques faits historiques et les dessins faits d’elle, avec sa grande beauté.
La bataille des chameaux
Pendant que Kahina atteignait l’âge adulte, les Djeraoua tenaient les arabes en échec, que ce soit dans le nord tunisien ou l’est algérien. La chefferie locale des tribus berbères devenait de plus en plus dépendante des Amazighs des montagnes pour la sécurité.
Tabeta, le père de Kahina, hérita de l’autorité politique de Koceïla. Il nomma, à l’insu de tous, Kahina en tant que commandante des armées. Les historiens affirment que ce n’est que grâce à une lettre interceptée par le nouveau commandant des forces arabes Hassan Ibn Numan, que ce dernier découvrit qui fut à la tête des Djeraoua. Et avec l’ennemi qui considérait Kahina comme la reine de tous les Berbères, ces derniers n’avaient que le choix de soutenir la reine guerrière.
En 699, Kahina à la tête de plusieurs milliers de combattants attaque Baghaï, la ville séparant les deux fleuves de Meskiana et Nini, une position stratégique pour les arabes qui commençaient la conquête des montagnes algériennes. Les troupes de Kahina décimèrent les soldats arabes dans la ville, et se déguisèrent en tant qu’habitants, en anticipant la poussée des troupes d’Ibn Numan.
Cette dernière vint quelques jours plus tard, et les troupes arabes sont prises en embuscade lors de la « bataille des chameaux ». Ce conflit dura plusieurs jours car Kahina et ses soldats poursuivirent les troupes de Hassan Ibn Numan, les repoussant hors du Kairouan et de Gabès en Tunisie, et jusqu’à l’actuel nord libyen.
Kahina entre la clémence et la politique de la terre brûlée
Pendant quatre ans, lors de la guerre de Nahr-Al-Balaâ – la guerre de la calamité –, Kahina et ses troupes assiègent les positions arabes en Cyrénaïque, pendant que son père Tabeta négociait avec les tribus pro-arabes dans le nord du royaume.
Mais les informations provenant de Médine étaient décourageantes pour les Berbères. Le calife omeyyade, Abd Al-Malik, envoya des dizaines de milliers de soldats en renfort à Hassan Ibn Numan en 702. Une puissance que Kahina et son armée étaient incapables de repousser. Pendant la même année, Kahina perdit son père, son premier soutien politique dans le nord, et était obligée de battre en retraite. Mais la décision de Kahina ensuite fit sa légende.
Avant de retourner dans ses montagnes natales, elle libéra d’abord les centaines de soldats qu’elle fit prisonniers pendant la guerre, et procéda à appliquer une politique de terre brulée, de Gadamès en Libye jusqu’à Utique en Tunisie, en passant par les montagnes dans le nord et le long de l’actuelle frontière algéro-tunisienne, elle a détruit les bâtiments et brulé tous les champs agricoles.
Car ce que Kahina voulait, avant tout, c’était que son pays reste libre de l’occupation étrangères. La politique de terre brûlée servait, donc, à diminuer l’attrait de l’Empire berbère pour les forces arabes. Et dans un dernier élan désespéré, elle affronta les forces arabes à Bir El Kahina – le puit (tombe) de Kahina – dans la région montagnarde de Chaambi sur la frontière entre l’Algérie et la Tunisie. La légende dit qu’elle tua des centaines de soldats sans jamais chuter de cheval, et qu’elle aurait combattu pendant trois jours et trois nuits.
Certains historiens affirment qu’elle fut tuée pendant la bataille, d’autres qu’elle se serait suicidée, à la manière d’Hannibal Barca, avec le poison. Mais quoi qu’il en soit, l’épopée de Dihya est encore aujourd’hui au centre de l’identité amazighe. Et après sa mort, les fils de Koceïla n’eurent d’autre choix que d’accepter le règne des Omeyyades. Seule exception, les Djeraoua, qui restent, encore aujourd’hui, une tribu indépendante habitant les montagnes algériennes.
Queen Kahina, an amazigh warrior queen, wiped out an invading Arab Army delayin their conquest. She eventually died in the middle of the war, while resisting. pic.twitter.com/MQF2gD2mZa
— 리타🥀 | LILAC (@mushytae) September 2, 2019