Le Parti démocratique gabonais détient le palais présidentiel, et la majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il contrôle également les tribunaux et les administrations municipales.
Le président Ali Bongo Ondimba (depuis 2009) se présente à nouveau aux élections prévues le 26 août au Gabon. Il est, pour dire l’évidence, censé la gagner. La Constitution a en effet été modifiée plusieurs fois au cours des dernières décennies pour assurer la continuité du pouvoir des Bongo.
Premièrement, la limitation du nombre de mandats a été supprimée de la Constitution. Ali Bongo pourrait ainsi être président à vie.
Deuxièmement, les scrutins traditionnels à deux tours ont été transformés en un scrutin à un tour, mettant ainsi le candidat sortant à l’abri d’un rassemblement de l’opposition en cas de second tour.
Troisièmement, ce n’est plus la majorité absolue mais la majorité relative, c’est-à-dire la pluralité, qui permettra d’être élu, et donc, selon toute vraisemblance à Bongo peut gagner les élections. Cela signifie qu’une majorité peut être inférieure à 50 %, tant que le vainqueur obtient le plus grand nombre de voix. S’il fallait obtenir la majorité des voix, Ali Bongo, avec 49,8 % aux élections de 2016, ne serait pas président aujourd’hui.
Quatrièmement, en avril de cette année, le mandat présidentiel a été réduit de 7 à 5 ans, garantissant la simultanéité des élections présidentielle, législatives et locales. Dans le passé, après l’élection présidentielle, les partis d’opposition s’organisaient contre le parti au pouvoir de Bongo, père et fils, pour remporter des sièges aux élections législatives et locales. Désormais, toutes les institutions du pouvoir gouvernemental pourront être conquises par le président Bongo et son parti en un seul scrutin.
Une opposition divisée
Dix-neuf candidats se présentent à la présidentielle. Parmi eux figurent l’ancien Premier ministre Raymond Ndong Sima, l’ancien vice-président Pierre-Claver Maganga Moussavou, le chef de la coalition Union nationale des partis d’opposition qui a défié Bongo en 2016, Paulette Missambo, et l’ancien ministre des Mines Hughes Alexandre Barro Chambrier. Depuis un an, ce dernier s’est efforcé de rallier les autres leaders de l’opposition à l’idée d’une candidature unique, sans succès. Chambrier est peut-être celui qui est le mieux placé pour rassembler le plus de voix contre Ali Bongo et le Parti démocratique gabonais (PDG), mais l’opposition gabonaise est, une fois de plus, divisée.
Ali Bongo, fils de l’ancien président Omar Bongo (1967-2009), est pour sa part soutenu par le PDG fondé par son père. Ce parti monopolise le pouvoir depuis plus d’un demi-siècle dans ce pays d’Afrique centrale riche en pétrole. Grâce aux institutions du gouvernement à parti unique, à la corruption néo-patrimoniale et à la parenté politique, le clan Bongo a conservé le pouvoir pendant 56 ans.
Pourtant le Gabon n’est pas une monarchie, mais une république, une “république dynastique”. La république dynastique est un oxymore, car, selon les mots du philosophe Ciceron, une république est res publica : “la chose publique”, et non le patrimoine privé de ses gouvernants. La pratique généralisée du népotisme, en tant que gouvernance, viole l’idéal classique de la république.
Dans les républiques dynastiques, les présidents concentrent le pouvoir entre leurs mains et établissent des systèmes de gouvernement personnel avant de transmettre le pouvoir de l’État à leur famille et à leurs proches – non seulement fils et filles, mais aussi épouses, frères et sœurs, demi-frères et demi-sœurs, cousins, oncles et tantes, nièces et neveux (le terme népotisme dérive du latin nepos ou “neveu”), gendres et belles-filles, ex-épouses, enfants illégitimes, membres du ménage et ainsi de suite.
L’idéal classique d’un État légal-rationnel, où la position et le rang sont distribués en fonction du mérite, au nom du fonctionnement rationnel (efficient et efficace) des institutions du gouvernement, est ainsi corrompu.
Une république dynastique
Toutes les républiques dynastiques du monde (en 2023, Gabon, Guinée équatoriale, Togo, Syrie, Azerbaïdjan, Turkménistan, Corée du Nord et, plus récemment, Cambodge) ont institutionnalisé le pouvoir familial traditionnel par le biais d’un outil moderne qu’est le parti. Il est essentiel de comprendre que personne ne règne seul. Ce n’est qu’avec un vaste appareil de parti qu’un homme et sa famille peuvent gouverner une république qui compte des millions de personnes.
Mais pourquoi l’élite (ou le “selectorate”) a-t-il toléré le pouvoir d’un homme et de sa famille ? La réponse est simple : ils ont besoin de lui pour conserver leurs propres positions.
L’économiste Gordon Tullock a émis l’hypothèse en 1987 que la succession dynastique attire les élites non familiales qui se méfient d’une lutte pour le leadership. Le professeur d’administration Jason Brownlee a testé cette hypothèse sur un ensemble de données de 258 autocrates non monarchiques (républicains) et a constaté qu’“en l’absence d’expérience préalable dans la sélection d’un dirigeant par le biais d’un parti, les élites du régime acceptaient les héritiers filiaux apparents lorsque le titulaire et son successeur étaient issus de leur parti”.
Les politologues Bruno Bueno de Mesquita et Alastair Smith soutiennent :
les partisans essentiels (“selectorate”) ont bien plus de chances de conserver leur position privilégiée lorsque le pouvoir passe au sein d’une famille de père en fils, de roi en prince, que lorsque le pouvoir passe à un étranger au régime.
Autrefois annoncé comme le “Koweït de l’Afrique” en raison de sa faible population 2,3 millions d’habitants et de ses grandes réserves de pétrole, le Gabon, petit pays riche en ressources, a une population qui s’appauvrit.
Le revenu par habitant du Gabon de 12 800 dollars est démenti par une population où un tiers des citoyens vivent en dessous du seuil de pauvreté, le chômage dépassant 20 à 35 % chez les jeunes.
Une réalité qui doit conduire à remettre en question les positions de ceux qui ne voient rien de mal à la règle dynastique.
Douglas Yates, Professor of Political Science , American Graduate School in Paris (AGS)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.