Alors que les Etats-Unis se préparent à s’excuser pour l’esclavage, pour l’historien Kwasi Konadu, les USA doivent s’inspirer de l’Afrique pour indemniser les Afro-Américains.
Quelque 156 ans après l’abolition officielle de l’esclavage, un vote adopté le 14 avril par la commission judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis pourrait conduire à la création d’une commission de 15 personnes, chargée de présenter des « excuses nationales » pour l’esclavage, d’étudier ses effets à long terme et de soumettre des recommandations au Congrès sur la manière d’indemniser les Afro-Américains.
Tout projet de loi fédéral sur les réparations a de grandes chances d’être rejeté en raison de l’opposition des Républicains ; il s’agit toutefois de la plus grande avancée depuis qu’un projet de loi similaire a été introduit il y a plus de 30 ans. Ainsi, la représentante démocrate du Texas Sheila Jackson Lee y voit une étape nécessaire sur le « chemin de la justice réparatrice ».
Alors que les États-Unis débattent des réparations pour les descendants de l’esclavage, l’examen de la pratique de certains pays africains en la matière pourrait aider à dégager une voie à suivre, selon mes recherches sur l’histoire et la diaspora africaines.
Les réparations incomplètes de l’Afrique du Sud
Aux États-Unis et dans le monde, les arguments en faveur des réparations tournent principalement autour des compensations financières. Mais un examen plus approfondi des efforts de réparation actuels illustre les limites des programmes axés uniquement sur cet aspect.
En Afrique du Sud, Nelson Mandela et son parti, le Congrès national africain (ANC), ont créé une Commission vérité et réconciliation (CVR) en 1995, dès leur arrivée au pouvoir. Cette commission a enquêté sur les violations des droits humains commises durant près de cinq décennies d’apartheid, alors que le système législatif imposait des lois ségrégationnistes et perpétuait la violence raciste.
La commission a mis en place un programme de réparations, recommandant dans son rapport final de 2003 que les victimes de l’apartheid reçoivent chacune l’équivalent d’environ 3 500 dollars US sur six ans. Mais la commission a stipulé que seules les personnes qui avaient témoigné devant elle des injustices de l’apartheid – soit environ 21 000 personnes – pouvaient y prétendre, alors que quelque 3,5 millions de Sud-Africains noirs ont souffert sous le régime de l’apartheid.
Le successeur de Mandela, Thabo Mbeki, a effectué un versement unique, de 3 900 dollars, en 2003. Depuis, les gouvernements sud-africains n’ont effectué aucun paiement supplémentaire aux personnes ayant témoigné ou à d’autres victimes de l’apartheid. Aucun des gouvernements de l’après-Mandela n’a non plus jugé les responsables du système de l’apartheid. La structure du pouvoir qui a soutenu l’apartheid est restée largement intacte.
L’Afrique du Sud est la société la plus inégalitaire du monde, selon la Banque mondiale. Les Blancs constituent la majorité des élites riches, tandis que la moitié de la population noire sud-africaine vit dans la pauvreté. Le fait d’ignorer les dommages sociaux et économiques plus larges causés par l’apartheid – les inégalités de revenus, les terres non restituées saisies par les Blancs, les infrastructures communautaires médiocres – a empêché des millions de personnes ayant subi des violences d’être considérées comme des victimes. Elles ne recevront peut-être jamais de réparations.
L’effort sous-financé de la Sierra Leone
À peu près au même moment où l’Afrique du Sud a créé sa Commission vérité et réconciliation, la Sierra Leone, pays d’Afrique de l’Ouest, a entrepris un effort similaire pour faire face aux conséquences de ses dix années de guerre civile. La guerre civile en Sierra Leone, qui a duré de 1991 à 2002, a tué au moins 50 000 personnes et en a déplacé 2 millions d’autres. En 2004, la Commission vérité et réconciliation a recommandé des mesures de réparation pour les survivants.
Elle a recommandé des allocations, des soins de santé gratuits et des avantages en matière d’éducation pour les amputés, les personnes gravement blessées, les veuves de guerre et les survivants de violences sexuelles. Les gouvernements de Sierra Leone ont longtemps ignoré ces recommandations mais, en 2008, la pression exercée par la plus grande organisation de survivants du pays, l’Amputee and War-Wounded Association, et une subvention de 3,5 millions de dollars du Fonds de consolidation de la paix des Nations unies, ont relancé cet effort.
Cependant, au lieu de mettre en œuvre les mesures de réparation plus complètes préconisées par la CVR, le gouvernement de la Sierra Leone a versé en 2008 à chacun des 33 863 survivants enregistrés un paiement unique de 100 dollars. Les Nations unies ont par la suite accordé quelques petits paiements, des prêts et des formations professionnelles à d’autres survivants au cours des années suivantes.
Après avoir interrogé des survivants de la guerre civile en Sierra Leone, l’Institut de recherche sur la paix de Francfort a conclu en 2013 que le programme de réparation de la Sierra Leone avait échoué. Il a pointé du doigt le nombre élevé de victimes, le financement limité et les épidémies de santé publique comme Ebola qui ont rendu les réparations moins prioritaires.
Réparations par le biais des tribunaux
Dans d’autres pays africains, les survivants des atrocités coloniales ont demandé réparation par le biais des tribunaux.
En 2013, des survivants kényans ont saisi les tribunaux britanniques pour demander des réparations. Le gouvernement britannique a reconnu que « les Kényans ont été soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements aux mains de l’administration coloniale » et a accepté de verser 19,9 millions de livres sterling – 27,6 millions de dollars – en compensation à quelque 5 000 survivants âgés. Mais le gouvernement a bloqué les paiements, et les Kényans ont ensuite exigé plus que ce qui avait été offert.
En Allemagne, une action en justice similaire visant à obtenir des réparations pour le massacre des Hereros par les Allemands en 1904-1908 dans la Namibie coloniale reste controversée. Les négociations se poursuivent.
Repenser les réparations à travers l’Afrique
Des groupes représentant des nations africaines et caribéennes ont proposé d’autres façons de penser l’esclavage colonial et la violence raciale à l’origine de ces efforts de réparation.
En 2019, l’Union africaine – un organe politique régional composé de 55 pays africains – a défini la justice réparatrice comme la réparation des « pertes subies » dans toutes les circonstances où les droits de l’homme ont été violés. Cela inclut les réparations financières – le document politique met l’accent sur le soutien matériel à la reconstruction des maisons et des entreprises endommagées par des régimes coloniaux oppressifs. Mais il appelle également les pays membres à penser au-delà de l’argent et à envisager des mesures de réparation visant à guérir les traumatismes et à instaurer une justice sociale plus large.
Une grande partie de la réflexion de l’Union africaine s’aligne sur le plan de réparation en 10 points de la Commission des réparations de la Caricom, basée dans les Caraïbes et établie en 2013. Ce plan prévoit l’annulation de la dette des pays des Caraïbes fondée sur l’esclavage colonial et le droit pour les descendants d’Africains du monde entier de retourner dans une patrie africaine, s’ils le souhaitent, par le biais d’un programme de réinstallation soutenu par la communauté internationale.
Pour ces groupes, les réparations ne sont pas seulement une question d’argent – c’est un plaidoyer pour une restauration collective, pour récupérer quelque chose au nom de ceux qui ont perdu leur force travail ou leur vie au profit de puissants gouvernements et institutions blancs.
À travers l’esclavage et la domination coloniale, l’Afrique a perdu une partie de sa population. Mais le continent a également perdu une main-d’œuvre qualifiée, de la créativité et des innovations. Ces avantages ont été transférés aux sociétés coloniales – et leur récupération reste en jeu pour l’Afrique et les descendants d’Africains dans le monde entier.
La traduction vers la version française a été assurée par le site Justice Info.
Kwasi Konadu, professeur à la Colgate University.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.