A cause de la déforestation et du braconnage, les éléphants sont menacés de disparition, notamment en Côte d’Ivoire, explique Sery Ernest Gonedelé Bi, enseignant-chercheur à l’université Félix Houphouët-Boigny.
L’Afrique abrite au moins 400 000 éléphants, dont environ 5 500 en Afrique de l’Ouest. Les recherches indiquent qu’il existe deux espèces génétiques distinctes : l’éléphant de forêt (Loxodonta cyclotis) et l’éléphant de savane (Loxodonta africana).
Parmi les grands mammifères d’Afrique, les éléphants sont les plus menacés d’extinction à cause de l’action humaine et deux phénomènes en particulier : la déforestation massive et le braconnage.
Les chiffres ne cessent de dégringoler à un rythme très préoccupant depuis des décennies. Et les éléphants de Côte d’Ivoire sont particulièrement affectés par cette tendance désastreuse, comme le montre l’étude que nous venons de publier à la fin de l’année 2020.
La population d’éléphants dans le temps
À l’époque précoloniale (avant 1893), la Côte d’Ivoire abritait probablement l’une des plus grandes populations d’éléphants en Afrique de l’Ouest.
Cette population est restée élevée jusqu’à l’époque coloniale en Afrique de l’Ouest – c’est notamment pour cette raison que les puissances coloniales ont donné à la région le nom de Côte d’Ivoire. Cependant, durant ces trois dernières décennies, les populations d’éléphants ont été fortement réduites, principalement à cause du défrichement des forêts au profit de l’agriculture. Roth avait estimé en 1984 la population totale à 1 790 individus pour les éléphants de savane et à 3 050 individus d’éléphants de forêt, dispersés à travers toute la Côte d’Ivoire.
Cet effectif a diminué de 50 % au début des années 1980. Au début des années 1990, de nouveaux déclins ont été observés : les populations d’éléphants de savane et d’éléphants de forêt sont passées respectivement à 63 et 360 individus. Ceux-ci sont confinés dans des zones protégées et leur nombre continue de baisser. En effet, la forêt restante de Côte d’Ivoire est très fragmentée et se compose en grande partie de parcs nationaux et de forêts classées nominalement protégés.
Le nombre d’éléphants en Côte d’Ivoire a diminué à un rythme alarmant depuis que les premiers inventaires sur les éléphants ont été réalisés. La situation est probablement encore plus alarmante aujourd’hui, avec seulement sept populations d’éléphants identifiées au cours de la dernière décennie, et totalisant environ 270 individus. Bien que cet effet n’a pas été quantifié, on peut supposer que la crise militaro-politique qui a affecté la Côte d’Ivoire de 2002 à 2011 a eu un impact négatif, voire catastrophique sur les populations d’éléphants du pays.
Les données les plus récentes sur la population d’éléphants de Côte d’Ivoire datent d’au moins une décennie et la collecte de la plupart de ces données n’a pas été effectuée en suivant des protocoles standards. L’objectif de notre étude est d’obtenir des informations actualisées sur la répartition et l’état de conservation des éléphants de forêt de Côte d’Ivoire.
De 2011 à 2017, nous avons collecté des données sur l’occurrence des éléphants à partir de sources multiples, notamment le dénombrement des crottes le long de tracés linéaires, les recensements de conflits homme-éléphant (dégâts causés par les éléphants dans les plantations et des blessures ou morts causées de part et d’autre), les reportages dans les médias, les enquêtes et entretiens sur les signes de présence d’éléphants.
Nous nous sommes principalement concentrés sur le dénombrement des crottes sur les tracés linéaires effectués sur huit sites étudiés (Forêt classée de Dassioko Sud, forêt classée Port Gauthier, forêt classée Monogaga, forêt classée Niégré, forêt classée Okroumodou, parc national Azagny, forêt classée Bolo Ouest, parc national Marahoué) de 2011 à 2017.
Déclin des populations d’éléphants de forêt
Sur la base du dénombrement des crottes, la présence d’éléphants a été confirmée dans 4 des 25 aires protégées étudiées (Figure 1). De plus, en dehors de celles-ci, les données de conflits et les rapports des médias ont confirmé la présence d’éléphants dans quatre localités (Daloa, Dassioko, Belleville et Sikensi). Ainsi, quatre (57,1 %) des sept sites où des éléphants ont été observés sont des aires protégées alors que les trois autres (42,9 %) se trouvent en dehors de celles-ci.
Nos résultats montrent un déclin généralisé et catastrophique de l’occurrence et du nombre d’éléphants de forêt. Sur les 25 aires protégées étudiées, 21 (84 %) ont perdu toutes leurs populations d’éléphants de forêt. Sur les quatre aires protégées (16 %) où les populations d’éléphants ont survécu, le dénombrement des crottes indique une faible densité (0,1197 à 0,168 individu/km2) d’éléphants dans ces forêts.
Menaces affectant la survie des éléphants de forêt
Plus de la moitié des aires protégées étudiées (FC Bolo-Ouest, FC Niégré, FC Monogaga, FC Rapide Grah, FC Haute Bolo, FC Marahouék, FC Okroumodou, FC Koba, FC Davo et FC Duékoué) ont été complètement converties en exploitations agricoles et en zones d’habitation de populations humaines. L’étude montre que la présence d’éléphants est fortement liée au niveau de protection des aires protégées.
Au cours des deux dernières décennies, la population d’éléphants de forêt de Côte d’Ivoire a été réduite de 90 %. Dans le même temps, le nombre d’aires protégées abritant des fragments de forêt a diminué de 80 %.
En raison de la transformation/perte de leur habitat, plusieurs populations d’éléphants ont fui en dehors des aires protégées. Les conflits entre les hommes et les éléphants ont augmenté en dehors des aires protégées, exposant ainsi les éléphants au braconnage.
Les populations restantes d’éléphants de forêt de Côte d’Ivoire sont désormais isolées dans les aires entourées de parcelles agricoles, comme déjà signalé dans d’autres pays.
Avec la pression humaine croissante autour du reste des aires protégées, les conflits homme-éléphant vont inévitablement augmenter. Cela suggère que les autorités ivoiriennes doivent initier des stratégies innovantes impliquant les communautés locales, pour éviter de tels conflits qui entraînent souvent la mort de l’homme ou des éléphants et des pertes économiques.
Sery Ernest Gonedelé Bi, Enseignant-chercheur, Université Félix Houphouët-Boigny. Cocody, Côte-d’Ivoire
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.