Depuis le coup d’Etat d’Abdel Fattah al-Sissi en 2013, le peu de liberté d’expression acquise par les Egyptiens a laissé place à une chape de plomb. L’Egypte occupe aujourd’hui la seconde place au monde en nombre de journalistes en prison. Elle est aussi l’un de 21 pays au monde disposant d’une autorité étatique de censure des médias et des réseaux sociaux.
Le bilan est digne des plus grandes dictatures. En 2017, le gouvernement Sissi, en collaboration avec les fournisseurs d’accès à internet (FAI) égyptiens, a bloqué l’accès de 487 sites internet de presse. Tous les médias nationaux qui ont débuté après la révolution de 2011 ont été priés de revoir leur ligne éditoriale, voire ont été supprimés.
Dans le classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), il faut descendre dans les bas-fonds pour trouver trace de l’Egypte. Une situation encore pire qu’elle ne l’était à l’époque de Mubarak. La seule soupape de liberté des activistes et journalistes égyptiens depuis 2011 est l’espace digital.
Le CSRM, le fléau de la voix libre
Mais là aussi, la censure guette. La loi 92 de 2016 a officialisé la création du Conseil suprême de régulation des médias (CSRM), quand la loi 180, sur les médias, de 2018 a rendu légitime son existence. Cette dernière avait alors été suspendue jusqu’à l’ordre exécutif de sa mise en vigueur par le nouveau ministre de l’Information, en mai 2020.
Se cachant derrière la régulation, dont il se veut être un outil, le CSRM est avant tout une impressionnante machine qui a pour objectif de censurer. Les journalistes qui en font partie sont des collaborateurs du pouvoir de Sissi, par choix ou par obligation. Officiellement, comme l’indique Rania Hachem, le CSRM veut « lutter contre les rumeurs publiées sur l’Egypte et ce en fournissant les informations correctes à la population sur tout événement afin que celle-ci soit toujours au courant des informations vérifiées ».
Autrement dit, l’Etat égyptien veut contrôler les médias et en être la principale source d’informations. Pour cela, le fameux conseil s’appuie sur un arsenal juridique impressionnant : il est responsable de l’octroi de licences aux chaînes de télé et de radio, aux plateformes numériques, à tout média impliquant la distribution de contenus enregistrés en Egypte ou à ceux, non égyptiens, diffusés depuis l’Egypte.
Grâce à sa liste très large de prérogatives, le CSRM va jusqu’à choisir la ligne éditoriale de chaque journal, station de radio ou chaîne de télévision. Le CSRM crée l’opinion et sanctionne ceux qui s’y opposent, protégeant tel un trésor les intérêts d’Abdel Fattah al-Sissi.
Une attention toute particulière pour l’espace digital
Là où l’Egypte innove, c’est que Sissi a su s’adapter aux nouveaux types de médias. Entre la « Loi des médias » et la loi 175 de l’année 2018, l’Autorité Nationale de réglementation des télécommunications (ANRT) a obtenu la possibilité légale de bloquer les contenus numériques, les sites web et les plateformes sous couvert d’accusations de cybercriminalité ou de menacent contre la sécurité nationale. Ce dernier glissement sémantique est le même que Sissi a brandi durant sa croisade contre Mohamed Morsi et son parti, le Parti de la liberté et de la justice, issu du mouvement des Frères musulmans. Ce sont exactement les mêmes mots qui ont justifié le pogrom qui a décimé le parti politique le plus influent en Egypte.
Lorsqu’une plateforme web ou même une personne privée ne respecte pas les réglementations répressives de l’ANRT, son fournisseur d’accès internet est puni d’un minimum d’un an d’emprisonnement, voire d’une amende d’au moins 25 000 euros, pouvant aller jusqu’à 50 000 euros. De son côté, le CSRM a le droit de bloquer tout utilisateur des réseaux sociaux enfreignant les normes et les lois sur le contenu. Une censure à tous les étages, donc, qui oblige les FAI à collaborer.
Hélas, l’ANRT ne se contente pas de punir les FAI et les plateformes médiatiques : plusieurs activistes anti-Sissi ont été arrêtés depuis la promulgation des lois de 2018. Les dernières vagues d’arrestations en date sont celles de juin et de novembre 2020. Les prisons de Sissi enferment actuellement plus de 67 journalistes et blogueurs, et beaucoup plus de prisonniers d’opinion.