En Egypte, le président Abdel Fattah al-Sissi a décidé de lever l’état d’urgence instauré en 2017, qualifiant l’Egypte d’« oasis de paix ». Une sécurité qui doit beaucoup à une politique répressive exercée par l’Etat.
Tout un symbole. C’est sur les réseaux sociaux, qu’il surveille et sur lesquels il pourchasse les opposants depuis 2018 grâce à une loi controversée, que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a annoncé avoir « décidé d’annuler la prorogation de l’état d’urgence dans tout le pays ». Selon les mots du chef de l’Etat, « l’Egypte est devenue, grâce à ses hommes fidèles, une oasis de sécurité et de stabilité ».
Une annonce relayée et magnifiée par une machine de propagande médiatique et digitale que le régime al-Sissi a passé des années à bâtir.
Après le massacre des militants des Frères musulmans, élus au pouvoir après la révolution égyptienne de 2011, le coup d’Etat d’Abdel Fattah al-Sissi ne s’est pas manifesté uniquement dans les exécutions sommaires et l’emprisonnement illégal des opposants. Là où la répression a été la plus lourde, c’est dans les médias, le secteur le plus important de la société égyptienne. Et après la fermeture des médias accusés d’être « islamistes », ce fut rapidement au tour des médias « libéraux » d’être pris pour cibles. Résultat, aujourd’hui : après les épurations et les pogroms, pas un média égyptien n’ose encore critiquer al-Sissi ou son régime.
Une répression plus forte que sous Moubarak
Des centaines d’hommes et de femmes des médias sont en exil, en prison ou ont été exécutés pour « atteinte à la sûreté de l’Etat ». Le comédien et présentateur Bassem Youssef, double détenteur du Prix international de la liberté de la presse, a par exemple été accusé d’un crime qui n’existe qu’en Egypte : le « terrorisme verbal ».
Pourtant, en Egypte, la pauvreté rampante, la violence de l’Etat et l’omerta de tout un peuple sont omniprésentes. Andrea Dessi, chef du programme Méditerranée et Moyen-Orient auprès du ministère italien des Affaires Etrangères et directeur de l’Institut des Affaires Internationales (IAI), dénonce « une propagande destinée à la consommation à l’étranger, pour détourner l’attention de la réalité des faits ».
Pour le spécialiste, l’Egypte demeure « un pays autoritaire où les forces de sécurité ont un contrôle total sur la société ». Et Andrea Dessi d’expliquer que « le régime d’Abdel Fattah al-Sissi est plus violent que celui de Moubarak. La répression n’épargne ni les Egyptiens ni les étrangers. Moi, Italien, je me souviens bien de la détention, qui se poursuit encore, de Patrick Zaki. Et nous sommes nombreux à nous rappeler l’assassinat horrible de Giulio Regeni ».
Mort, prison et torture tous azimuts
Outre les journalistes, les influenceurs sont également victimes de la répression du pouvoir égyptien. Amnesty International affirme que 43 000 personnes ont été poursuivies ou condamnées pour des raisons politiques depuis la prise du pouvoir par al-Sissi, et que 500 personnes sont présumées mortes. Des influenceuses de mode aux footballeurs, en passant par les créateurs de contenu culinaire ou les humoristes, ils sont par centaines — voire par milliers — accusés de crimes de mœurs, d’incitation au terrorisme, de « perversion des familles », etc. Certains ont été condamnés par contumace, d’autres purgent des peines allant jusqu’à 15 ans de prison ferme. Les plus chanceux s’en sortent sans avoir subi des semaines de torture.
Le 30 juillet dernier, le tribunal militaire a condamné à mort vingt-quatre membres du parti de l’ancien président, Mohamed Morsi, dont cinq étaient déjà morts en prison. Le 13 octobre dernier, trente-deux personnes accusées de tentative d’assassinat contre Abdel Fattah al-Sissi ont été condamnées à la prison à perpétuité, après que les autorités saoudiennes les ont livrées. La présumée tentative d’attentat aurait eu lieu à la Mecque, pendant le pèlerinage d’al-Sissi en compagnie du prince saoudien Mohamed ben Nayef. Les condamnés du mois dernier s’ajoutent à une liste de 290 personnes jugées dans cette affaire, toutes accusées de « planification d’un coup d’Etat » et de « tentative d’assassinat ». Une affaire qui met la lumière sur la guerre « antiterroriste » au Sinaï, car une majorité des accusés sont des ressortissants des tribus de la région, dont le seul crime est l’appartenance à la famille des accusés. Une affaire qui souligne également que cette « oasis » si chère à Abdel Fattah al-Sissi n’a de paisible que le nom.